S'identifier - Contact

Cafés Philos et Nouvelles Pratiques Philosophiques
Penser par soi-même

Faut-il enseigner la morale à l'école ?

 Faut-il enseigner la morale à l'école ? 

Les boucs émissaires de notre immoralité
 
 Il est régulièrement question dans la société française, d'enseigner la morale civique et laïque au sein du système scolaire. Sujet récurrent et, pour emprunter un terme journalistique, véritable "marronnier" en politique. De toute façon, le mal est effectivement profond et le délitement de nos valeurs républicaines inquiétant.
Il est vrai que les jeunes, cible de cette volonté de réforme, posent de plus en plus de problèmes au sein de l'institution scolaire et les enseignants ont toujours plus de mal à enseigner face aux actes d'incivilité qui se multiplient. Certes, ce sont là des faits, cependant celle ou celui, qui n'a pas l'habitude d'exercer sa réflexion, suit le courant le plus facile, celui des préjugés consistant à désigner les quartiers, dits "sensibles" et les jeunes français issus de l'immigration comme responsables de ce délitement moral. Cette vue bien trop courte, concerne le phénomène bien connu du bouc émissaire, permettant de refouler notre responsabilité et les véritables causes du délitement de notre société devenue, elle-même, immorale.

S'il est vrai d'affirmer que certains jeunes, provenant des couches les plus populaires, sont difficiles, la violence qu'ils exercent est sans doute la plus voyante et la plus évidente ( Qu'y a-t-il de plus violent que les règlements de compte à Marseille ou ailleurs, par exemple ? Qu'y a-t-il de plus choquant que les braquages avec des armes de guerre qui prolifèrent dans les quartiers ?) Certains jeunes sont irrespectueux, d'autres trafiquent et quand la situation explose ils brûlent des voitures, parfois même leurs lieux de culture, caillassent les pompiers et tout ce qui représente l'autorité républicaine,..., mais il est tout aussi vrai que ces jeunes ont subi, pendant longtemps et au quotidien, des violences psychologiques qu'ils endurent de la part d'une société qui les a trop longtemps ignorés. Ils adoptent alors un mode de pensée souvent régressif, ou bien se replient dans des valeurs identitaires anachroniques ; en bref, ils sont perdus et continuellement au bord de la révolte.

La situation semble dramatique et certains maires n'hésitent même plus à demander l'intervention de l'armée.


Le comportement immoral de la société à l'égard d'une jeunesse sacrifiée

Cette violence, les jeunes des quartiers la subissent, tout d'abord, de la part de certains médias. Ces chasseurs de scoops, ces faiseurs d'audimat n'hésitent pas à grossir le trait en étendant et généralisant cette situation à toute la jeunesse des quartiers, alors que la plupart de ces jeunes sont plutôt pacifiques et tentent courageusement de se battre pour s'en sortir. En agissant ainsi, ces médias contribuent à organiser une sorte de ségrégation territoriale.
Si certains jeunes sont violents, c'est bien souvent contre eux-mêmes, puisqu'ils détruisent leur propre lieu de vie et les institutions qui leur sont nécessaires. Est-ce une forme de suicide collectif ? Je suis toujours étonné par notre absence de réaction à l'égard de ce désespoir. Ce comportement auto destructeur témoigne d'une existence difficilement supportable parce que sans avenir. Et nous savons combien un être humain, privé d'avenir, peut se détruire s'il ne trouve aucun sens à son existence. Il n'est pas étonnant que certains d'entre eux choisissent des systèmes religieux radicaux. Sommes-nous encore capables de compassion à l'égard de cette souffrance insoutenable ?
Nous savons que l'économie parallèle permet à bien des familles de subsister, dans un environnement qui avoisine parfois 40 % de chômage. Si la vente de cannabis était libéralisée, les quartiers exploseraient, du fait que la suppression de ce commerce illégal amputerait leurs seules sources de revenu. C'est sans doute, à mon avis, l'une des raisons de la prohibition de ce produit.
Ces jeunes se trouvent face à d'énormes difficultés sans précédent. Difficultés qu'ils cumulent : ségrégation territoriale, chômage, crise du logement, racisme, sans compter les malheurs de leur génération à savoir, le SIDA, les crises économiques et écologiques... Ils voient bien souvent leurs soeurs, leurs frères et leurs proches bardés de diplômes et finir désoeuvrés dans la cité, faute de travail, victimes d'une société qui ne veut pas les intégrer. Difficile dans ces conditions d'avoir encore confiance dans l'école républicaine. Ils savent à quel point leurs grands-parents ont été exploités dans les industries françaises et bien avant, leurs arrière-grands-parents sur le sol même de leur pays d'origine au cours de la colonisation. Inutile de se poser la question quant aux raisons de leur rejet des métiers du secteur primaire. L'inconscient collectif existe et il doit peser lourd dans leur attitude.
Même si la France n'est pas un pays raciste, il n'en demeure pas moins que ces jeunes subissent des logiques raciales bien souvent inavouées, comme l'interdiction des boites de nuit, les délits de faciès lors des contrôles de police, le rejet de leur CV à cause du patronyme ou de leur lieu d'habitation. Il n'est que d'observer autour de soi. Voit-on beaucoup de serveurs noirs dans les métiers de la restauration ou dans les cafés ? Les images publicitaires offrent-elles une réelle différence ethnique ? Et qu'en est-il du monde politique ? Certes, quelques petits efforts ont été faits de la part des partis politiques. Mais était-ce par souci d'équité ou par pure communication ? Et si amélioration il y a, elle nous paraît bien balbutiante. Les crises économiques successives, les économies de main-d'oeuvre et de coût de production pour satisfaire la logique compétitive du "marché", n'en finit plus de fragiliser l'avenir de ces jeunes. Sont-ils condamnés à rester enfermés dans leurs quartiers, mis au ban de la société. Vont-ils pouvoir quitter leurs parents, être autonomes, avoir suffisamment de pouvoir économique pour fonder une famille et finalement s'intégrer dans la société française, ou  bien sont-ils d'ores et déjà une génération sacrifiée ? Va-t-on construire des murs autour des quartiers, pour rassurer le brave citoyen ?
S'il existe une véritable volonté politique d'arranger les choses, la solution envisagée doit être globale. Il ne s'agit pas seulement, comme on le voit parfois dans la presse, d'exhiber les quelques exemples de réussites individuelles.
Le pire est sans doute la frustration que ces jeunes subissent continuellement de la part d'une société consumériste qui, par le biais du matraquage publicitaire, met à portée de main tant de produits de consommation, qu'ils ne peuvent pas s'offrir. Imaginez-vous tendant la main pour prendre ce que l'on vous promet et recevoir un coup de bâton sur les doigts, parce que vous voulez acquérir ce que l'on vous a tant vanté.
Au fond, à qui doit-on faire la morale, à cette jeunesse en déshérence ou à l'organisation de nos sociétés, de plus en plus impitoyable ?

Un malaise global

Ce n'est pas cette jeunesse particulière, qu'il faut désigner comme responsable de nos problèmes d'incivilité. Il faudrait plutôt tenter de comprendre la jeunesse en général, d'où qu'elle vienne, et chercher les causes de ce manque de civilité, toujours croissant, dans l'éducation que les adultes transmettent aux nouvelles générations. Après tout, nos enfants ne sont-ils pas, bien souvent, le reflet de notre  propre comportement ? Il n'est pas difficile d'ouvrir les yeux et de nous rendre compte, que l'incivilité touche notre société dans son ensemble. Il nous faut bien reconnaître que nous devenons de plus en plus incapables de vivre ensemble.
Bien sûr, certains diront que les problèmes d'incivilité de la part de la jeunesse ont toujours existé. Effectivement, les penseurs grecs de l'Antiquité, par exemple, témoignaient aussi de cette situation à leur époque. Sauf qu'à l'aube du XXI ème siècle, la situation tend à se mondialiser. L'histoire devrait plutôt nous faire réfléchir sur des symptômes qui ont toujours été le signe d'un délitement social des civilisations, amorçant leur propre déclin.
Notre société est en train de rendre malheureuse sa propre jeunesse. Le mythe grec de Chronos, qui dévore ses propres enfants, symbolise assez bien cette situation. Ce n'est pas un hasard si les fonds de pension font partie des plus grands investisseurs du capitalisme actuel. L'avidité des plus anciens sacrifie à leur pouvoir l'avenir des plus jeunes. Il nous faut donc, en tant qu'adulte, nous questionner davantage, à commencer par celles ou ceux qui sont censés incarner nos valeurs républicaines et démocratiques.
Ces valeurs, issues de la révolution française, inscrites au fronton de nos mairies à travers le triptyque "Liberté, Egalité, Fraternité", sont des "principes" universels auxquels aspire l'Humanité toute entière. Ce rêve, cette "vision" d'une Humanité "Une" et "indivisible", sortant des ténèbres de l'inconscience d'elle-même, de sa propre mutilation à travers les guerres, l'exploitation de l'homme par l'homme et autres blessures qu'elle s'inflige, doit être impérativement transmis à nos enfants. Car, il n'y a rien de pire en pédagogie qu'un discours qui n'est pas appliqué, par ceux-là mêmes qui le professent.
L'exemplarité devrait être au centre de l'éducation. Ces valeurs sont-elles appliquées dans la société française ? Relisons les articles 23, 25 et 26 de la "Déclaration Universelle des Droits de l'homme", adoptée en 1948 par l'Assemblée Générale des Nations Unies à Paris, qui fait la fierté de l'homme occidental. Ne nous obligent-ils pas à fournir à toutes et à tous la possibilité de travailler pour satisfaire les besoins d'une vie digne, à donner à chacun et à chacune un logement décent et une éducation gratuite de qualité ? Existe-il dans notre société cette solidarité, et non pas la charité qui entretient la misère, indispensable pour vivre dans une sécurité économique et sociale nécessaire au sentiment de liberté ? 
Nous avons, apparemment, la possibilité de nous exprimer librement, mais cette liberté d'expression ne peut être pleine et entière que lorsque les moyens médiatiques sont au service du peuple et non dans les mains d'une minorité privilégiée. Notre société se dirige-t-elle dans ce sens là ?
L'égalité en droit existe-t-elle réellement ? Lorsque les plus puissants pratiquent l'abus de biens publics, mettant en jeu des sommes exorbitantes, la loi est-elle la même pour eux, que pour les autres, les sans grade ?... Et même si ce membre influent de la société finit par aller en prison, partage-t-il la promiscuité d'une cellule exiguë avec d'autres détenus, ou purge-t-il sa peine dans un quartier VIP ? Sans égalité devant la loi, les deux autres concepts du triptyque républicain, la liberté et la fraternité, s'effondrent.
Appliquons les valeurs républicaines dans la société, avant de moraliser les jeunes !
Avons-nous foi dans nos valeurs humanistes et modernes, ou bien ne sont-elles qu'un voeu pieu, voire de l'hypocrisie ?  
Respectons-nous et appliquons-nous ces droits, que nous avons la prétention d'exporter partout dans le monde ?

Une déliquescence morale générale

Mais au fond, sommes-nous, nous-mêmes, véritablement éduqués pour donner aux autres des impératifs
moraux ? L'éducation, c'est, tout d'abord, apprendre à développer ses facultés relationnelles. Notre société actuelle nous apprend-elle à vivre ensemble et à devenir pleinement humains ? L'organisation sociale de notre société ne tend-t-elle pas à se fondre sur l'obsession du profit, sur la compétition impitoyable de tous contre tous pour satisfaire les exigences d'un marché économique mondial qui nous est imposé comme une réalité incontournable, comme un moloch auquel nous devrions sacrifier nos propres enfants ?
Je défends l'idée du peuple, mais je ne suis pas populiste. Il est trop facile d'accuser les politiques et les agents économiques de la société, alors que le peuple lui-même s'avachit dans l'irresponsabilité du troupeau.
Ceux qui nous gouvernent sont à l'image de ce que nous sommes et ne reflètent finalement que nos désirs inavoués. Alors que nous possédons dans les mains une puissance démocratique que nos ancêtres n'osaient même pas espérer, nous nous laissons abrutir par une propagande consumériste qui sait faire appel à nos pulsions infantiles. La puissance démocratique que nous possédons, ne passe pas seulement par le parlement et le suffrage universel, mais par notre consommation. Si nous avions un tant soit peu de moralité, si nous étions intelligents et sobres, nous ne consommerions pas n'importe quoi. Nous pourrions boycotter les entreprises qui ne respectent pas la vie, l'environnement et l'humanité. Personne ne peut nous contraindre à consommer et cette toute nouvelle puissance démocratique, qui passe par notre consommation, mettrait le capitalisme au pas si nous le décidions, car nous sommes le véritable pouvoir.
Lorsque nous plaçons notre seule foi dans l'accumulation des biens de consommation, sommes-nous de bons exemples pour nos enfants ? Etant enseignant, j'ai l'occasion d'observer mes élèves et de voir cheminer leur pensée. La plupart d'entre eux considèrent que l'argent est la toute première valeur. Qui donc leur transmet ces valeurs ? Quels sont les modèles que nous donnons à nos enfants ? Certains décideurs publics, qui ne sont au service que de leurs ambitions personnelles, dans le mépris le plus absolu de l'intérêt général, sont-ils de bons exemples ? Les multinationales qui, grâce à des cabinets d'optimisation fiscale ayant pignon sur rue, évitent de payer leurs impôts dans les pays où elles produisent et vendent les biens de consommation, sont-elles des modèles moraux de référence ? Ces privilégiés qui, plutôt que de s'acquitter de leurs impôts, placent leur argent dans des paradis fiscaux, alors qu'ils pourraient soulager une grande partie de la dette économique de leur pays, sont-ils des exemples de citoyens ? Qui donc respecte nos valeurs républicaines ? Sur quels modèles nos enfants se structurent-ils, sur ceux des joueurs de football qui gagnent des sommes qui dépassent l'imagination, alors que nos chercheurs, mal payés, quittent la France et que des gens ne peuvent pas se loger, même en travaillant ?
D'ailleurs, les français sont-ils vraiment attachés aux valeurs démocratiques et républicaines ? Le repli identitaire toujours croissant vers l'extrême droite semble prouver le contraire. En réalité, peut être que nous ne sommes pas prêts à assumer l'humanisme, le courage, la responsabilité et la pratique d'une véritable citoyenneté. Peut-être préférons-nous rester dans le "troupeau", aux ordres d'un chef, qui prétend avec démagogie nous sécuriser. Il est quand même étonnant de constater que les programmes électoraux sont souvent centrés sur la sécurité. Si nous sommes nous-mêmes mal élevés, comment éduquerons-nous nos propres enfants ?
Devant une telle déliquescence morale générale, quelle autorité peut avoir un enseignant, représentant de la République, pour donner des cours de morale à une classe de jeunes désabusés par les contre-exemples qui leur sont offerts. Peut-être que sur le plan psychanalytique, il faudrait emprunter à l'école de Palo Alto le concept de "double entrave" pour qualifier le message contradictoire que nous voulons transmettre à notre jeunesse : "la société est immorale, soyez moraux !". La société est-elle cette mauvaise mère qui fait tout pour rendre fous ses propres enfants ?
D'ailleurs, il faudrait saluer le courage des enseignants. Ils font tout leur possible pour faire surgir chez leurs élèves, un petit bourgeon de science et de réflexion susceptible de s'abstraire de toute cette boue d'immédiateté matérialiste, imposée par une propagande consumériste et une véritable ingénierie de l'information, dont le but est de conditionner nos enfants dans une sous culture qui annule le travail de ces pédagogues.

L'éducation virtuelle

Aujourd'hui, les enseignants ne se contentent plus d'instruire leurs élèves, ils se transforment en éducateurs et la société tente de leur faire porter tout le poids du manque d'éducation qui s'est généralisé. Ils doivent de plus en plus pallier le vide laissé par des parents qui démissionnent parce que leurs enfants sont devenus ingérables. Ces parents sont souvent débordés par leurs activités professionnelles de plus en plus exigeantes, qui les empêchent d'exercer leur devoir éducatif.
La pression qui se fait toujours plus croissante de la part des magasins pour travailler le dimanche, est l'exemple même d'une société qui s'enfonce dans ses propres contradictions. D'un côté, nous nous plaignons de l'absence d'éducation donnée aux enfants et de l'autre, sous le prétexte fallacieux de la consommation, nous sommes prêts à sacrifier au monde du travail le seul jour de la semaine où toute la famille se trouve réunie.
La compétition, inhérente au "marché" se répercute par une pression de l'entreprise de plus en plus insoutenable sur les salariés. Ajouté à cela, les heures passées dans des transports en commun de plus en plus déficients, on a du mal à comprendre comment des parents épuisés peuvent encore trouver du temps pour dialoguer avec leurs enfants. Il suffit de mettre son enfant devant la télé pour avoir la paix. D'ailleurs, dans certains pays, on voit déjà apparaître des chaînes de télévision pour bébé.
Devant ce vide éducatif, Internet, les réseaux sociaux, les jeux virtuels et les écrans prennent le relais de l'éducation et les enfants y sont souvent livrés à eux-mêmes. Cette éducation virtuelle se substituent à celle qui passe par le sensible et la proximité. Nous sommes en train de développer un système de formation virtuel collectif, assez préoccupant et potentiellement liberticide.
Qui donc éduque nos enfants ? Un système de plus en plus totalitaire digne de "Big Brother" ?
Et pourtant, l'usage de la télévision et des nouvelles technologies de l'information pourrait être un plus dans l'éducation des enfants, mais le manque d'encadrement laisse les enfants aux prises avec des contenus informatifs de plus en plus douteux, voire, dangereux pour leur croissance psychologique. Il est quand même curieux que très peu de gens dénoncent ce phénomène. Les programmes de télévision deviennent stupides, infantiles et font appel à ce qu'il y a de plus malsain en l'homme, alors qu'il faudrait faire appel à ce qu'il y a de plus noble en lui. Sur certaines chaînes, tout est fait pour abrutir le téléspectateur et le transformer en consommateur décérébré. Certains responsables de chaînes, eux-mêmes, ne s'en cachent plus. Il y a quelques années, le responsable de TFI, Patrick Le Lay, reconnaissait vendre du temps de cerveau disponible pour les fabricants de produits de consommation. Il suffit de décrypter le contenu des publicités, pour comprendre le type de valeurs qu'elles véhiculent. Ici et là, on fait par exemple appel à l'égocentrisme individuel : "L'Oréal, parce que je le vaux bien !". Autrement dit : "Le merveilleux monde de la consommation n'a été créé que pour moi !". Pas mal pour une société qui veut inculquer à nos enfants le "vivre ensemble" républicain ! Il y a quelques temps, une publicité pour une marque de voiture, faisait passer le message suivant : "Si tu as la voiture, tu as la femme !". Le sexisme de la publicité actuelle pour la marque Lancia Ypsilon est plus subtil : "...elle plait aux femmes et captive, tous les hommes !". Nous avons beau jeu de faire la morale aux autres sur la condition féminine, mais notre manière d'envisager les femmes comme des objets à acquérir, ou bien comme des créatures superficielles, intéressées par la réussite sociale de l'homme, n'est guère plus émancipatrice !
Les contenus informatifs, les plus horribles et les plus dangereux pour l'équilibre des enfants, circulent bien sûr sur le web. Nous savons que les enfants ont toujours un  temps d'avance sur les adultes dans la manipulation des nouveaux outils d'information. Autant dire que la possibilité technique du contrôle parental est une plaisanterie, surtout quand les moyens d'accès au web sont aujourd'hui démultipliés.
Les échanges sur les réseaux sociaux ne se fondent pas non plus sur une intelligence débordante, mais sur la volonté narcissique de faire du "buzz", c'est à dire du bruit autour de soi. Les jeux virtuels, dont certains sont d'une violence extrême, deviennent une véritable addiction. Il n'est plus rare de voir des élèves "mutiler" leur scolarité et finalement leur vie, pour satisfaire cette frénésie du jeu.
Heureusement, nous avons certains spécialistes de la cognition qui nous rassurent en affirmant, que ces jeux sont bons pour le développement cognitif de nos enfants...
Les jeux d'argent, comme le poker, qui se multiplient sur le web, laissent croire à nos enfants que l'argent est facile à gagner. S'il suffit de se pencher pour ramasser de l'argent, pourquoi se fatiguer à l'école ? C'est d'ailleurs un argument qui est tenu par mes élèves. 
L'utilisation du téléphone portable, tant chez les jeunes que chez les moins jeunes, révèle une véritable névrose ; c'est une prothèse, une extension du corps dont certains ne peuvent plus se passer, ne serait-ce une minute. Cette névrose révèle un vide profond, une béance qu'il faut à tout prix combler, dans une société où l'isolement psychologique et le manque de marques d'affection et de relations bienveillantes, est toujours plus criants. Si vous interdisez aux élèves l'utilisation du téléphone portable en cours, ils ressortiront mécaniquement leur appareil au bout de cinq minutes. Pourquoi une telle dépendance ? Que fait-on à nos enfants ?
L'intériorité et l'intimité des individus disparaissent au profit d'une injonction à être en permanence connecté aux autres sur le réseau. L'obsession rationaliste et le positivisme, fourrant dans le même sac la subjectivité individuelle et l'irrationalisme, nous pousse à travers la techno-science vers le totalitarisme de l'objectivité et de la transparence, qui ne laisse rien présager de bon pour l'avenir. En communiquant sur des réseaux préétablis et non plus spontanés, nous prenons le risque d'être surveillés en permanence. Le scandale de l'affaire Snowden et la surveillance que les Etats Unis appliquent au monde entier, ont révélé le danger. Ce pouvoir fondé sur l'hyper surveillance est une aubaine pour les futurs dictateurs, si cette dictature n'est pas déjà là...Pour des peuples qui revendiquent la liberté individuelle et l'inscrivent au fronton de leurs institutions, il faut admettre que nous soulevons là une sacrée contradiction.
Ces nouvelles technologies de l'information, nous mettant en un instant en communication avec la planète humaine, pourraient constituer un progrès considérable vers une humanité universelle. Aucune dictature ne pourrait résister à l'oeil permanent de l'opinion mondiale. Mais comme le disait Rabelais, science sans conscience étant ruine de l'âme, les humains utilisent ces technologies dans le sens de la facilité et du repli sur soi. Plutôt que de rencontrer l'autre, ils préfèrent mener une existence virtuelle sur le réseau, où tout est permis à travers les masques, révélant ainsi une peur grandissante de l'altérité. Ils ne dialoguent même plus sur les réseaux, ils s'insultent, appellent au meurtre et agissent lâchement, se croyant protégés par un écran des autres. Il suffit de prendre les transports en commun, pour constater, que les gens ne se regardent plus, préférant se réfugier dans leurs instruments magiques du dernier cri technologique, pour ne pas avoir à croiser le regard de ceux qui leur sont étrangers. Si le racisme tend, bon gré, mal gré, à disparaître du fait du métissage des populations, la xénophobie, au sens de la peur de l'autre, a de bons jours devant elle. Mais on se donne le change, en se faisant croire que l'on a beaucoup "d'amis" sur "Face Book". On peut même se créer en un clic une personnalité VIP instantanée, mais au bout du compte on est toujours plus seul, car en réalité l'isolement devient la norme. Certes, l'utilisation des réseaux sociaux à des aspects positifs, notamment lorsqu'il s'agit de mobiliser la vigilance citoyenne, mais hélas, on communique avec le monde entier et pourtant la solitude, la dépression et le suicide explosent.
Pourquoi ne donne-t-on pas des cours de morale à tous ces marchands de bonheur virtuel, à ces fabricants de drogues permanentes qui tuent dans l'oeuf l'esprit de nos enfants ? Ce conditionnement et cet abrutissement permanent sont peut-être le crime le plus odieux que l'on puisse commettre. On peut préférer la mort physique à l'esclavage mental, à la perte de sa liberté individuelle et celle de sa dignité. Existe-t-il pire crime que de tuer "l'esprit" de l'homme ? Mais là encore, les apôtres du "marché" nous diront que la libéralité économique, qui n'est au fond qu'un laisser aller, se fonde sur la liberté du vendeur et de l'acheteur et feront appel à la responsabilité du consommateur. Mais comment les enfants peuvent-ils se défendre contre toute cette ingénierie de déstructuration et de conditionnement, à l'âge où l'on n'est pas encore capable de liberté et de responsabilité ?
L'éducation est le coeur même de la société. Ne sommes-nous pas en train de détruire toute forme d'éducation naturelle (communauté, parents, société) au profit d'une éducation virtuelle prise en charge par un système inhumain, n'ayant qu'une ambition : formater les enfants ?
Mais avant de nous aventurer plus loin sur l'enseignement de la morale à l'école, il nous faut, tout d'abord, réfléchir ses fondements, pour en comprendre les enjeux et la méthode pédagogique à adopter.

Essai sur les fondements de la morale

I entre idéalisme et empirisme

Dans l'histoire de la pensée et dans l'esprit des hommes les lois morales a priori ont toujours été opposées à celles qui sont établies de manière a posteriori. Le débat fait actuellement rage, notamment dans les débats sur la bioéthique, entre la pensée continentale et anglo-saxonne. La pensée continentale, héritière de Platon, de Descartes ou encore de Kant, entre autres, est plutôt tournée vers une éthique idéale, a priori, qui s'appuie sur une instance universelle permanente, affranchie de la contingence du temps et de l'espace. Même si certains penseurs ont reproché l'enracinement religieux de cette pensée, il n'en demeure pas moins qu'elle garantit des principes inviolables. Spéculer sur ces principes, c'est prendre le risque de les relativiser et finalement ne plus garantir leur inviolabilité. Prenons l'exemple des principes universels des droits de l'homme qui sont issus de la pensée continentale. Que se passerait-il si nous les questionnions en permanence ? Après tout :
* y a-t-il vraiment une humanité une et indivisible ?
* faut-il accorder une même humanité aux peuples africains, asiatiques, sémites et européens ?
Ou encore :
* les hommes ont-ils d'emblée des droits par le seul fait d'être humains ? 
* ces droits ne sont-ils vraiment accordés naturellement ?
Le simple fait de questionner ces principes inviolables suffit à les remettre en cause. C'est cela le révisionnisme et nous avons vu les dégâts d'un tel questionnement sur la mémoire, quant à l'existence des chambres à gaz, utilisées par les nazis. La révisionnisme entraîne inévitablement le négationnisme.
Finalement, si nous livrons les principes moraux les plus fondamentaux à la spéculation, nous livrons du même coup l'être humain et toute la nature à l'exploitation la plus effroyable, démultipliée par le progrès scientifique. Nous voyons bien le danger qu'il peut y avoir à spéculer sur des principes que nous considérons comme inviolables. C'est la raison pour laquelle Kant situait les principes moraux universels hors de la raison spéculative, pour les garantir dans le champ de la raison pratique, à travers l'impératif catégorique qui ne peut plus se raisonner.
A l'inverse, la pensée anglo-saxonne, héritière de l'empirisme, à travers Locke, Condillac ou encore J.Stuart Mill, entre autres, a des arguments qu'il ne faut pas négliger. L'empirisme et ses avatars, utilitarisme et pragmatisme, rejettent à la base et de manières plus ou moins fortes selon les penseurs, les principes a priori de la raison sur laquelle se fonde la morale. Selon ce type de pensée, il n'y a pas d'instance métaphysique ou idéale qui commande les règles morales et celles du raisonnement tout court. Toute connaissance est tirée des sens et c'est par l'expérience que l'homme établit, de manière a posteriori, ce qui est bon ou mauvais pour lui. Nous comprenons bien les dangers d'une morale a priori et d'une raison humaine érigée en instance universelle, qui diffuserait dans les esprits les règles de conduite. Cette morale, qui se suffirait à elle-même, serait totalitaire. Elle serait incapable de s'actualiser et de s'adapter aux changements provoqués par l'évolution. Le résultat serait une accumulation dans la société de règles absurdes, qui ne correspondraient plus à la réalité des moeurs suscitée par les progrès de la connaissance. Ces règles absurdes, nous les voyons fonctionner dans l'extrémisme religieux, les lourdeurs administratives et juridiques et plus généralement dans le conservatisme. Ces règles garantissent surtout les privilèges issus de la soif irrationnelle du pouvoir.
Qu'elles soient empiristes ou, pour faire court, idéales, il est difficile de trancher comme Alexandre le noeud gordien, qui attache ces deux visions apparemment contradictoires des fondements de la morale. La seule possibilité est, peut-être, d'accepter le noeud tel qu'il est et faire de ces deux extrémités une seule et même corde.

II Le retournement contre les instincts et la perte de la raison

L'humanité s'est fourvoyée en essayant de s'abstraire à tout prix de la dimension sauvage et naturelle de ses capacités de réflexion. Loin de remettre en question les dogmes religieux qui refoulèrent, sous le sceau du diable, le corps, le désir et les instincts dans le royaume de la Bête et de l'inconscience, le rationalisme occidental accentua ce dualisme. Désormais, la conscience rationnelle se devait de domestiquer le corps et les instincts, qu'elle assimila à des réflexes mécaniques et aveugles. Domestiquer la nature en soi, était faire oeuvre de civilisation. Sur le plan pédagogique, l'enfant était considéré comme un petit animal qui devait être dressé et rationalisé, en refoulant ses tendances les plus sauvages. Le mythe de l'enfant sauvage en pleine période positiviste en est un exemple. En fait, ce mythe est idiot, car un enfant élevé sans les hommes, n'est ni sauvage, ni naturel. L'homme faisant partie des animaux sociaux, un enfant ne peut se développer naturellement sans les autres membres de son espèce, tout comme une fourmi ne peut survivre sans la fourmilière. Cette situation serait justement contre nature. Nous ne sommes pas très attentifs à l'hyper moralisme du rationalisme contemporain, qui nourrit les sciences et la techno-science, même si nous commençons à sentir le poids de la morale biologique et de l'hygiénisme. La morale républicaine et laïque est également infestée par ce moralisme, qu'il nous faudra sagement discriminer avant de l'enseigner. 
Nietzsche fut l'éclair aveuglant qui dénonça ce retournement contre nos propres instincts et révéla cette puissance de vie refoulée. Mais le philosophe était trop entier, jusqu'à la folie. Il jeta le bébé avec l'eau du bain et rejeta la "raison" au lieu de la réinterroger. L'idéal nietzschéen a fortement influencé la philosophie continentale et notamment des penseurs comme Georges Bataille ou Gilles Deleuze, par exemple. Ce retour à la seule puissance des instincts et le soupçon (voir les philosophes du soupçon) porté sur la dimension métaphysique de la "raison", réduite à un phantasme idéaliste, voire bourgeois pour les penseurs marxistes, entraîna l'explosion de la force brutale et aveugle qui caractérisa les régimes autoritaires du 20ème siècle. Toutefois, ce retour à la puissance de vie n'eut pas d'effet sur le plan global et la négation des instincts prévalue. Par contre, le doute porté sur la raison s'accentua et fut amplifié par les deux guerres mondiales successives en Europe, la Shoa et l'utilisation de la bombe nucléaire. La rationalité fut réduite à sa plus simple expression dans les sciences et la techno-science, afin de n'en conserver que son seul aspect calculateur. Les autres interprétations du concept de "raison", telles que le "fond" ou la "source" de tout être et de toute chose, celle du Verbe ou de la Parole créatrice ou encore celle du juste milieu ou de la juste mesure qui engageait l'homme vers un comportement équilibré, disparurent de l'esprit humain livré à sa folie. Séparée de sa dimension transcendante, métaphysique et instinctive, la "raison" ne pouvait survivre. La prophétie de Nietzsche n'annonçait pas seulement la mort de "Dieu", mais également celui de la "raison" dans l'histoire, à tel point, qu'il nous faudrait aujourd'hui une résurrection de la Raison et un nouveau siècle des Lumières.
En conséquence, la morale républicaine, s'appuyant sur l'aspect métaphysique de la "raison", sous les auspices de "l'Etre Universel" affirmé par la Révolution française, est aujourd'hui une coquille vide. La morale républicaine n'est pas encore vraiment laïque et impartiale. La croyance athée, qui est aussi sectaire que les religions, y est encore très développée.
De plus dans notre monde capitaliste, les hommes préfèrent toujours le veau d'or du "marché" et du consumérisme, aux valeurs d'une Humanité universelle.
L'esprit de l'époque ne peut donc plus adhérer aux valeurs d'une Raison fondée sur "l'Etre Universel", puisque tout est livré au seul calcul mathématique et marchand.
Quant aux religions, si elles furent dépositaires en leur temps des principes moraux fondés sur la Raison Universelle ou la Sofia Perennis, elles participent aujourd'hui, à travers l'intransigeance de leurs dogmes et leur extrémisme, à la crucifixion du Verbe ou de la Raison.
La morale républicaine a-t-elle encore une profondeur et une solidité ?

III Instinct et intelligence

On ne peut séparer l'humanité de l'animalité et la "raison" humaine des instincts humains. En opérant une telle rupture entre ses deux dimensions, l'humanité a perdu sa sensibilité et s'est enfermée dans un système artificiel contre nature. "Qui fait l'ange, fait la bête" disait Pascal. Il nous faut reconsidérer la représentation que nous nous faisons des instincts et les différencier du réflexe automatique. Les réflexes automatiques existent à tous les niveaux, y compris sur le plan du néo cortex cérébral, dit supérieur. Les préjugés intellectuels sont bien des réflexes automatiques et l'espèce humaine en développe bien plus que les autres. Le réflexe automatique est un principe biologique qui veut que, lorsqu'une espèce ou un individu trouve un équilibre satisfaisant, il l'enregistre pour le reproduire. Dans le meilleur des cas, cet automatisme permet aux êtres vivants d'aller au plus court et de libérer leur énergie pour autre chose. Cette attitude entraîne une habitude. Dans le pire des cas, il s'agit d'une routine qui ne permet plus aux êtres vivants d'être alertes et de s'adapter... Chez l'homme la paresse intellectuelle est fondée sur cette routine qui finit par le rendre stupide. Ces réflexes sont des automatismes sur le plan biologique, des pulsions sur le plan psychique et des préjugés sur le plan intellectuel. Ces réflexes ne sont pas le propre des instincts. Ces derniers n'étant pas séparés de "l'intelligence créative", sont susceptibles de créativité et nous permettent de nous adapter aux nouvelles conditions suscitées par le milieu.

C'est l'instinct humain qui a poussé l'humanité à se développer cérébralement, comme l'instinct a poussé les autres espèces à développer leurs facultés spécifiques. Il est vrai que de tous les instincts dans la nature, le plus opérant est celui qui a poussé l'homme vers la maîtrise qu'il possède aujourd'hui. Cependant, cette maîtrise ne doit pas nous amener à scier la branche sur laquelle nous sommes assis, en nous retournant contre l'instinct qui nous a permis un tel développement, au nom d'une pseudo intelligence de l'esprit séparé du corps. Sans l'instinct qui s'exprime dans l'intellect, l'humanité n'aurait pas existé.
L'intelligence n'est donc pas séparée des instincts, elle est d'ailleurs au coeur même du vivant comme l'était le Logos pour les philosophes grecs. Il est d'ailleurs inutile de s'enfermer dans les notions de transcendance ou d'immanence, car l'intelligence est à la fois transcendante par rapport à notre égo et immanente à la vie même. Bien que je ne sois pas d'accord avec Bergson sur sa conception de l'intelligence et des instincts, il ne séparait toutefois pas ces deux dimensions. Pour lui, il y avait de l'intelligence dans l'instinct et de l'instinct dans l'intelligence. Selon moi, l'intelligence ne peut pas se mesurer et ne peut être réduite aux seules capacités intellectuelles ou facultés de raisonnement. Scientifiquement, nous sommes encore très loin d'en comprendre les fondements. Il ne s'agit pas non plus de réduire l'intelligence chez l'homme, à l'intelligence réflexive qui apporte la vivacité de l'esprit ou encore la capacité à synthétiser. L'intelligence réflexive est perfectible. Elle se pervertie, notamment en se mettant au service de l'individualité séparée par l'égoïsme de sa dimension universelle. A court terme, cette intelligence pervertie peut nous rendre malins, surtout à travers le cynisme et la transgression des règles qui nous unissent à l'universel. L'utilisation du pouvoir use le pouvoir, tout en isolant celui qui en abuse. A long terme, personne n'est intelligent tout seul et l'intelligence se détruit par manque de créativité et de sagesse.
La plus haute intelligence est la "sagesse". Toutes les formes d'intelligence s'enracinent en "elle".
L'intelligence n'est donc pas seulement réflexive ou a posteriori ; elle est aussi pré réflexive ou a priori et créatrice. L'intelligence créatrice agit, à travers l'instinct, dans l'entendement et l'intellect par l'intuition, voire la prémonition ou autres facultés encore méconnues. L'intelligence créatrice est également puissance de vie. C'est le "souffle" qui correspond au Logos pneumatikos dans la tradition de la Grèce antique.
Créer, c'est mettre en ordre le chaos. Ainsi pour la philosophie antique, le Logos transformait le chaos en cosmos. Cette création qui s'effectuait à travers l'intelligence créative du Logos, possédait en elle-même, d'une part, les "principes", nécessaires à l'ordre cosmologique, sur lesquels s'appuyaient les lois physiques universelles et, d'autre part les "Archétypes", nécessaires à l'ordre cosmogonique, sur lesquels se réglaient les structures psychiques.
On peut bien sûr contester cette vision métaphysique traditionnelle au nom du modernisme, de la pensée matérialiste, du positivisme et du scientisme. Mais à l'aube du 21 ème siècle, il arrive que les sciences modernes interrogent et retrouvent certaines conceptions traditionnelles. La pensée matérialiste est déjà dépassée. L'ère de la physique quantique tend à dématérialiser le monde, tout en propulsant l'esprit humain par delà le seul principe de causalité, régissant les phénomènes à l'intérieur du temps et de l'espace. En physique quantique, la matière est la fois particulaire et ondulatoire, matérielle et immatérielle. La matière et l'esprit seraient-ils les deux faces d'une même pièce, comme le Purusha et la Prakriti de la philosophie hindouiste ? Nous savons à présent que nous ne percevons que 5 % de l'univers, le reste étant constitué de matière et d'énergie noire imperceptibles selon nos sens. L'homme est en train de re spiritualiser l'univers. Certains scientifiques n'hésitent plus à parler de dessein intelligent concernant les constantes fondamentales, extrêmement subtiles, qui règlent les tout premiers instants de l'univers. Sur le plan des découvertes psychologiques, n'oublions pas non plus Carl Gustav Jung qui découvrit, de manière clinique, les Archétypes qui fondent l'inconscient collectif. Malraux avait-il raison ? Le 21ème siècle sera-t-il spirituel ?
Si le rationalisme disparaît par la réfutation d'une raison universelle, abstraite du corps et suspendue dans les nuages d'une métaphysique idéaliste, l'antique conception de la "sagesse" pourrait bien réapparaître  au coeur de la matière et de nos instincts les plus profonds. Les instincts ne sont pas seulement les vecteurs de la puissance de vie, comme le pensait Nietzsche. Ils expriment également, à travers l'intuition intellectuelle et l'imaginaire, une intelligence créative qui dépasse toutes nos connaissances et devant laquelle nous devons accepter notre ignorance, pour être inspirés. Nous retrouvons ici le "daïmon" socratique, ce "génie", qui selon Socrate habite en chacun de nous, à condition d'accepter de l'accoucher.

IV Une morale instinctive et intuitive

Les principes moraux ne viennent donc pas, comme des règles générales de conduites imposées de l'extérieur par un pouvoir totalitaire ou par une religion dogmatique. Ils sont déjà potentiellement dans notre entendement, à travers l'intelligence de notre propre "bon sens". Il suffit de les éveiller chez l'enfant pour lui permettre de les actualiser, en fonction de son époque et des circonstances dans lesquelles il se trouve.
L'enfant sait instinctivement ce qui est juste ou pas. Comme le pensait Descartes, il le sait par l'intermédiaire des "Idées innées", ou des "natures simples". Ces "natures simples forment le "bon sens", qui comme la mort qui touche tout le monde, fonde une égalité d'esprit fondamentale à laquelle sont ramenés les érudits et les simples, les adultes et les enfants. Le "je sais que je ne sais pas" socratique nous rend égaux aux tout petits, car si il y a bien une chose que partageons avec eux, c'est notre ignorance de la réalité ultime de la vie. Le reste n'est que littérature ! A l'inverse, cette affirmation peut se retourner en "je sais que je sais" à travers ces "natures simples" que nous partageons avec les plus simples. Nicolas de Cues, en écrivant "La Sagesse de l'idiot", avait bien compris cette intelligence de la simplicité et la vanité d'une certaine forme d'érudition. 
Mais à la différence des cartésiens, ces Idées innées, ou ces "natures simples" ne sont pas dans un sujet qui s'abstrait du corps de l'univers. Elles sont dans le corps de celui-ci. Il n'y a pas de séparation entre le corps et l'esprit. La séparation par une individualité égotique du corps de l'humanité, de la nature et de l'univers est une illusion. Nous ne sommes pas séparés, comme peuvent nous le faire croire la sensation illusoire du "moi", donnée par les sens ou le mental. Nous sommes un même corps, celui de la "vie" elle même. La connaissance n'est pas seulement intellectuelle, elle aussi charnelle. Ce n'est pas un hasard, si nous parlons de "corps social". A travers l'idée de "principes", d'"Idées innées, ou de "natures simples", nous retrouvons là le Corps de la Loi évoqué par le Bouddhisme. Cette conception du corps universel n'est donc pas nouvelle. Nous la retrouvons dans les plus anciennes traditions, mais également chez Gordano Bruno, qui voyait dans l'univers le Grand Animal, ou encore chez Spinoza dans l'idée de la "Substance" universelle.
Il est logique que les "principes" et les "archétypes" s'expriment à travers les instincts et l'intuition, si l'esprit et le corps ne sont pas séparés.

V Ethique et réflexion empirique

L'enfant sait donc naturellement et simplement, par l'intermédiaire, des "natures simples" ce qu'est la morale, mais il ne la reconnaît pas encore comme telle. N'ayant pas encore développé toute son intelligence réflexive. L'enfant ne peut pas encore revenir et réfléchir sur ses actes et ceux des autres. La morale collective s'impose aux enfants, afin de les protéger, lorsqu'ils n'ont pas encore développé leur propre réflexion pour en comprendre toute la nécessité.
La morale s'impose également à un peuple qui n'a pas encore acquis l'autonomie d'une réflexion démocratique digne de ce nom. Les peuples, qui ont acquis cette autonomie, ne sont d'ailleurs pas nécessairement ceux que l'on croit. C'est une chose de se dire en démocratie, mais c'en est une autre d'être vraiment démocrate.
L'exigence morale des lois naturelles et des règles de vie commune sont seulement inscrites potentiellement dans l'entendement de l'enfant. Il va devoir, tout au long de son développement, et même de sa vie entière, amener à la conscience la nécessité des règles indispensables à sa survie et à celles de son espèce. Cette morale, qui n'est pour lui qu'intuitive et générale, il devra l'adapter à la particularité de sa propre existence et aux circonstances de son époque. Il lui faudra clairement différencier les règles coutumières, susceptibles d'être modifiées, voire supprimées, de celles qui, dans leur universalité, restent invariables quelles que soient les époques et les cultures. Une fois acquise la faculté de penser par lui-même, cet enfant devenu adulte, sera, grâce à son sens critique, capable de séparer le bon grain de l'ivraie. Il sera en mesure de discriminer dans la morale qui lui aura été transmise, ce qui relève du pur moralisme et ce qui relève des règles vitales et universelles. C'est cette maturité qui lui permettra de passer du champ de la morale, qui se présente de manière générale, à celui de l'éthique découlant des règles qu'il aura adaptées à sa propre singularité. 
Lorsqu'un individu est capable de penser et de se gouverner par lui-même, il peut, de par sa souveraineté individuelle, s'approprier les règles communes qui lui semblent justes et combattre celles qui paraissent aller contre l'humanité et l'harmonie universelle. Nous pouvons, dès lors, parler d'éthique ou de déontologie quand les règles concernent un groupe professionnel ou une communauté particulière. Le développement des facultés du raisonnement et d'anticipation sont indispensables dans la constitution d'une éthique individuelle. Etant soumis sur terre au principe de causalité, l'individu doit être en mesure de déduire rationnellement les conséquences de ses actes sur les plans individuels, collectifs et environnementaux, sans avoir à en vivre les expériences. Mais, il doit également être en mesure d'induire du champ de l'expérience les règles générales du comportement. Ce travail empirique permet de contrebalancer l'idéalisme de la morale a priori, tout en réactualisant les règles figées par le temps. Ce travail empirique permet également de générer les règles nouvelles, qui n'ont pas été prévues par la morale collective, à cause de l'évolution des moeurs, des sciences et des techniques.
Comme nous l'avons vu précédemment, il n'est pas nécessaire de trancher le noeud gordien entre l'idéalisme et l'empirisme, puisque ces deux démarches sont nécessaires à la réflexion sur la morale. Nous nous devons de réfléchir et d'expérimenter, s'il y a lieu, les règles que nous recevons par l'intermédiaire de la culture, dussent-elles être universelles. Certes, il y a des lois qui ne peuvent être livrées à la spéculation, surtout lorsqu'elles concernent le respect des droits de l'homme, la liberté de conscience, des autres espèces, de l'environnement naturel et autres principes fondamentaux concernant le respect de la vie en général. Mais il s'agit de les adapter, malgré tout, à chaque cas particulier sans y renoncer sur le plan général et universel, même pour raison d'Etat. A chaque fois que de tels principes sont mis en balance pour raison d'Etat ou par celle du plus grand nombre, il importe de se questionner sur la véritable nature de cet Etat et sur la logique qui prévaut chez le plus grand nombre. Le dialogue en matière de morale sera toujours nécessaire et il ne faut pas confondre cette attitude avec la spéculation qui ne peut provenir que des esprits pervers.
Si le dialogue est nécessaire, il l'est à plus forte raison dans l'enseignement de la morale que nous souhaitons transmettre à nos enfants.

Eveiller l'être moral en soi et non pas l'enseigner 

Faut-il enseigner la morale à l'école ? Il est préférable de la transmettre et non pas l'enseigner. On enseigne un savoir, qu'il faut mémoriser. La morale n'est pas une question de mémoire, mais d'ouverture d'esprit et de vécu. L'élève doit découvrir par lui-même la nécessité d'une morale, avec laquelle il sera en accord, pour vivre en société. Le développement de la conscience de soi ne s'impose pas, mais se vit à travers le dialogue et la relation aux autres. Lorsque la morale est enseignée par le seul apprentissage de principes a priori qu'il faut retenir, elle ne fait que renforcer la conscience du moi et l'égocentrisme qui y est associé. En retour, soit l'élève rejettera cette morale en découvrant que "les conseilleurs ne sont pas les payeurs", soit Ils deviendra hypocrite en faisant le contraire de ce qu'il affiche, ou alors, moraliste en refoulant des désirs qui le rendront névrotique. En découvrant, par lui-même, la nécessité de la morale dans un dialogue avec les autres, l'élève découvre les relations d'interdépendance qui le relient à son espèce et à la nature. Sa réflexion et sa compréhension étant sollicitées, il développe la conscience de soi qui englobe, à la fois, sa propre individualité ainsi que celle de l'humanité et des autres espèces. La conscience morale s'appuie sur des principes a priori reflétant dans l'esprit les lois qui fondent les relations universelles physiques et psychiques. Mais ces principes sont liés à l'intelligence potentielle que l'enfant possède en lui-même de manière naturelle et innée. Ces principes ne peuvent advenir à la conscience de l'enfant, que lorsque son intelligence a été correctement éveillée. Ce travail pédagogique ne peut que s'opposer au dressage par le biais de principes extérieurs, qu'il faudrait apprendre et introjecter. Comme je le disais plus haut, le seul moment où la morale s'impose comme un impératif catégorique et ne se discute pas, c'est lorsque l'enfant n'est pas encore en âge de comprendre ce qu'implique les règles qui lui sont données, afin de le protéger.
Pour transmettre la morale, il serait nécessaire de consacrer dans le programme scolaire, au minimum, une séance hebdomadaire de deux heures de discussion et de débat dans chaque classe. Cette discussion peut prendre comme sujets des faits d'actualité, des interrogations propres aux élèves, des thèmes choisis sur des débats actuels et tout ce qui a trait au "vivre ensemble" et à la citoyenneté.
Doit-on rappeler que dans une démocratie, il est nécessaire de permettre aux élèves de s'exercer au débat public et aux décisions communes, mettant en jeu le destin de la société ? Doit-on rappeler que l'éducation démocratique doit être au coeur de la démocratie ? C'est à l'intérieur de cette discussion, animée par un adulte qui possède un véritable savoir-faire dans l'exercice du questionnement et de la maïeutique, que l'on peut aider l'élève à réfléchir par lui-même et ouvrir son esprit, afin de lui permettre, sans contrainte, de découvrir l'être moral en lui.
Seules les dictatures enseignent et imposent la morale aux élèves. Le moralisme est l'argument d'une société sur le déclin qui n'a plus d'autres choix, que d'enfoncer dans le crâne des enfants des codes de conduite pour maintenir l'ordre public, en fonction de l'intérêt et du pouvoir des plus privilégiés.
Toutefois, libérer deux heures hebdomadaires, pour permettre aux élèves de s'exercer à une libre expression de la pensée, n'est pas sans poser quelques problèmes dans un système scolaire où priment des programmes surchargés, qu'il faut avaler comme on gave les oies... Si les adultes font 35 heures hebdomadaires, il serait temps de se poser la question du temps de travail scolaire des enfants et des adolescents à l'école et à la maison, qui dépasse parfois celui des salariés.
De plus, la culture démocratique à l'école reste problématique à cause certains cadres qui considèrent que si nous habituons les élèves à réfléchir par eux-mêmes, à discuter la morale, qu'elle soit générale ou dans l'enceinte du collège ou du lycée, nous risquons de ne plus pouvoir gérer la discipline. Pourtant, si la situation risque d'être trouble au départ, à long terme le gain est énorme. Non seulement les élèves auront la capacité à se gérer par eux-mêmes, mais ils pourront également devenir responsables de l'ordre régnant dans les classes et dans les établissements scolaires. Lorsqu'un trublion perturbe les cours, la plupart des autres élèves sont passifs, quand ils n'encouragent pas, par leurs rires le perturbateur. Pour eux, seul l'enseignant doit avoir le pouvoir et l'autorité. Ceci les déresponsabilise. S'ils étaient encouragés à prendre en charge, au même titre que l'enseignant, la bonne tenue des cours et le respect de l'établissement, nous aurions affaire à des élèves capables de participer pleinement à l'enseignement qui leur est donné. Mais encore faut-il que les pédagogues acceptent de perdre un peu de leur pouvoir, tout en acceptant le déséquilibre des premiers moments lié à la décentralisation de l'autorité. De plus, ce type d'enseignement ne peut exister que dans une éducation fondée sur l'entraide et le bien commun et non sur la compétition, où il s'agit d'avoir les meilleures notes et plus tard les meilleurs diplômes. Mais là, certains pédagogues rétorqueront par l'argument qui tient lieu de lieu commun : "c'est de l'utopie". Il est préférable d'avoir des utopies que des illusions. Croire que le système scolaire va perdurer tel qu'il est, avec des élèves de plus en plus irresponsables et ingérables, mettant en jeu la sécurité même des enseignants, ayant pour seules valeurs, parfois, celles de l'argent, du consumérisme et de la compétition sociale, c'est effectivement ne plus avoir d'utopies, mais c'est conserver de grandes illusions.
Puisque sans utopies, nous ne sommes rien, voici la mienne !

L'école du bonheur

Au lieu de devenir un lieu d'apprentissage, de socialisation et de découverte, l'école est devenue, pour beaucoup d'élèves, un bagne qu'ils souhaitent quitter au plus vite. Il faut les voir se précipiter vers la sortie lorsque la sonnerie retentit. Certes, cette attitude a de tout temps existé, mais cela prouve seulement que l'école n'a guère évolué.
Plutôt que de fonder l'enseignement sur la mémorisation par les élèves, à travers des programmes surchargés, de données aussitôt oubliées, ne faut-il pas mieux les aider à éveiller leur intelligence, leur goût pour une culture riche et variée, susceptible de les initier à toutes les pratiques culturelles ? Plutôt que de faire du savoir un pouvoir et une pression sur l'élève, ne vaut-il pas mieux lui donner la curiosité, l'envie et le goût de la connaissance ? L'apprentissage des pratiques artistiques, sportives et manuelles ne doivent-elles pas avoir plus de place au sein des programmes scolaires, à côté du socle de connaissance habituel ? Pourquoi ne pas permettre aux élèves d'exprimer et d'élaborer à l'école leur propre culture ? La culture Hip Hop, par exemple, n'est-elle pas assez riche pour cela ? Les textes de Rap sont-ils tous mauvais ? Pourquoi les mathématiques constituent-elles la matière phare du système scolaire ? Veut-on formater les élèves pour qu'ils deviennent des techniciens, des technocrates, des gestionnaires, des affairistes et des spéculateurs ?
Finalement, en y réfléchissant bien, le système scolaire forme plus qu'il n'éduque. Quand comprendra-t-on que nous avons besoin d'êtres humains de qualité, capables de vivre les uns avec les autres, tout en respectant la nature et l'environnement avant de former des techniciens, des ingénieurs, des gestionnaires ou des économistes. Ce n'est pas le progrès scientifique ou technologique qui sauvera l'humanité. La science n'a pas vocation à faire des individus, d'authenthiques êtres humains et des citoyens responsables. Le véritable progrès ne consiste pas à envoyer des sondes dans l'univers et des humains sur Mars, mais à construire un monde habitable où l'humanité est capable d'être en paix avec elle-même et avec la "vie". Le progrès doit être social ; non pas au sens exclusivement économique ou politique, mais dans celui d'une évolution vers des relations humaines fondées sur une véritable intelligence et une profonde bienveillance.
Pourquoi n'apprendrait-on pas à l'école à danser, à chanter, à jardiner, à cuisiner, à jouer d'un instrument de musique, à sculpter, à dialoguer, à débattre...à se socialiser, à vivre tout simplement ? Certes, les choses commencent à frémir sur ce plan grâce à la future réforme des rythmes scolaires, proposée par l'actuel gouvernement, mais les activités proposées restent extra scolaires et ne changent pas fondamentalement la nature même de l'école. Elle permet, certes, aux élèves les plus pauvres, dont les familles n'ont pas le budget nécessaire, d'avoir accès aux activités extra scolaires et de ne pas traîner dans les cités. Mais encore faut-il faire attention à ne pas surcharger l'emploi du temps des élèves, par ces activités extra scolaires mal encadrées, par des animateurs et des animatrices sous payés.
Pourquoi fonder l'enseignement sur le dressage, à travers les récompenses et les punitions, comme les bons points, les belles images, les bonnes notes, les bons diplômes et la promesse d'une situation sociale élitiste, ou à l'inverse, les mauvaises notes qui détruisent le narcissisme vital de l'enfant, la menace de l'exclusion scolaire et de la mort sociale ?
Les enseignements primaires et secondaires ne doivent-ils pas permettre à l'élève de construire tranquillement sa propre humanité et de s'épanouir, plutôt que d'exercer sur lui une pression, l'obligeant à penser prématurément à sa future insertion professionnelle ? Il faut se méfier de l'idéologie qui consiste à rapprocher l'école de l'entreprise. Comment se fait-il que certains enfants se suicident à cause de cette pression ? L'école éduque-t-elle les enfants dans l'éveil et l'intelligence ? Il est vrai qu'un être humain éduqué dans des valeurs profondément humanistes, n'est pas formé à la guerre économique impitoyable de tous contre tous, faite pour satisfaire les exigences du "marché" et les poches des actionnaires. Dans toute guerre, il ya des soldats qui ne doivent pas avoir de pensée individuelle, car réfléchir c'est désobéir. Nous comprenons les réticences de certains à permettre aux élèves de penser par eux-mêmes, tout en éprouvant des sentiments pour autrui. La sensibilité est devenue une faiblesse, cédant la place à la rationalité "calculante", froide et sans vie de l'homo "economicus". Comment parler encore de morale sur de telles bases ? Que peut donner une société humaine, où l'on est exclusivement formé à occuper une place dans la vaste ruche du système, sans avoir été éveillé à sa propre intelligence ? Quels bienfaits pour la société et les entreprises ? Certes, à court terme, les individus formés de cette manière sont malléables et dociles. A long terme, c'est une catastrophe. Ces individus finissent par occuper, du fait même de leur malléabilité, des postes clé au sein de la société et des entreprises qui les emploient. Incapables de réfléchir par eux-mêmes, ils n'ont pas de créativité et sont dans l'incapacité de s'adapter. Ils laissent les idéologies, les systèmes et les machines penser pour eux. Le "bon sens" finit par disparaître dans une société qui marche sur la tête. Cependant le monde étant impermanent, jamais deux situations ne se présentent de la même manière. Nous ne sommes pas des fourmis, l'espèce humaine a fait tourner la roue de l'évolution et tout s'accélère. Il lui faut répondre très vite aux défis, qu'elle a, elle-même, suscités. Lorsque le problème survient, ces individus sont incapables de réagir. Le système s'emballe et c'est la fin. Cela ne nous rappelle rien ?
Un enfant devrait être heureux d'aller à l'école, de quitter l'univers familial pour retrouver ses copines et ses copains, découvrir toute l'étendue des "savoirs être", "savoirs faire" et connaissances humaines. Il devrait s'y sentir aimé et non contraint. L'école devrait être un espace ludique, car dans la nature, c'est par le jeu que les petits mammifères apprennent les gestes essentiels à leur survie. Le jeu en mécanique, c'est ce qui fait que deux pièces ne se frottent pas dans le même espace, évitant ainsi à la structure de casser. Le jeu veut que les individus ne soient pas formés les uns contre les autres mais, au contraire, qu'ils apprennent à vivre ensemble dans la même société. Le jeu c'est aussi ce qui permet au corps et à l'esprit de s'éveiller tout en captant toute l'intelligence nécessaire à l'épanouissement de l'individu, tout comme la plante capte l'énergie du soleil. C'est à travers le jeu que l'on apprend vite et que l'on est heureux d'être ensemble et avec soi-même. Je n'invente rien, puisque des pédagogues comme Rabelais, Rousseau, Dewey, Montessori, Korczak, Freinet et bien d'autres ont fait part de cette intuition avant moi. Ont-ils été écoutés ? Non, le système les a récupérés et marginalisés, car au fond, ce qui a toujours prévalu dans l'éducation humaine c'est un "savoir" orienté vers le pouvoir et non une connaissance tournée vers l'amour.
Le malheur n'est qu'un très mauvais terreau pour faire pousser les plus belles fleurs de la morale. Rendons nos enfants heureux. Vous verrez comment, sans leur imposer un moralisme mortifère, ils développeront toute la morale nécessaire à l'art de vivre ensemble, pour faire de cette planète l'Eden tant convoité.
L'Education doit être au coeur de la société et le Coeur de l'homme au centre de l'Education. N'est-ce pas cela la philosophie humaniste qui nous fait tant pavoiser, nous français, aux yeux du monde ? Sans éducation digne de ce nom, nos démocraties ne sont que des façades, des magasins qui promettent beaucoup, mais qui n'ont rien en réserve. L'école du bonheur ! Voilà pour moi l'enseignement de toute la morale.
Mais ceci reste un point de vue qui doit être critiqué à travers une critique constructive. Alors à vos plumes ! 

Bruno Magret
 

bruno le 03.09.13 à 20:03 dans > Mes réflexions sur des sujets d'actualité - Version imprimable
- Commenter -

Commentaires

petites réflexions suite à "l'école du bonheur"

 Nourrie par Libres enfants de Summerhill, de Alexandre-S Neill, j 'ai débuté un parcours d'enseignante pétrie de belles intentions, j'ai essayé de transmettre le plus possible, avec des résultats souvent imperceptibles et non répertoriés dans le sacro-saint "programme" !

Je pense que l' apprentissage de connaissances ou de toutes techniques doit être ludique. Il semble paradoxal voire incongru à notre époque  qu'étymologiquement "ludus" signifie le jeu, le divertissement ( militaire au commencement) mais aussi l'école !! Pourtant c'est une clef essentiel !
D'ailleurs  les fabulistes Esope et Phèdre ont parfaitement mis en pratique ce principe "placere et docere" qui sera repris par La Fontaine " une morale nue apporte de l'ennui, le conte fait passer le précepte avec lui" nous dit-il dans sa préface ;Molière  dans ses comédies  relaie aussi ce principe, Voltaire à travers ses contes philosophiques,  Grimm  et Perrault aussi, pour ne citer que des auteurs connus de tous. 


Mais une chose est de plaire et instruire au théâtre, en poésie , en littérature c'est bien autre chose de plaire et instruire au collège et au lycée !
La plupart des élèves se référant au présupposé familial et sociétal ( ou préjugé?) à savoir le divertissement (placere) est antinomique avec l'instruction, ne prennent pas au "sérieux" l'enseignant qui veut plaire et instruire dans une même démarche.
Il est vrai que le fait d'avoir enfermé l'enseignant avec ses élèves dans un espace clos et souvent terne ne favorise pas l'éveil à la connaissance ! 
Tenter d'apprendre ( mais quoi?) sous la contrainte et dans un lieu quasi carcéral, des "matières" imposées, à de jeunes esprits ayant soif de vivre, n'est-il pas le meilleur moyen de détourner les jeunes des "études" ?
Si accéder aux connaissances est relativement facile et à la portée de chacun, éveiller la curiosité, donner le goût de l'étude, la soif d'apprendre, l'envie de comprendre et proposer des méthodes, ou des clefs l'est beaucoup moins !

D'ailleurs, j'ai souvent constaté que nombre d'enseignants ne donnent pas les "clefs de la connaissance" sciemment ou non...jaloux de leur pouvoir... égoïstes intellectuels... frustrés revanchards...craignant d'ëtre égalés voire dépassés par leurs élèves ...
En ce qui me concerne, Enseigner est un acte généreux et ne peut s'exercer avec parcimonie. Mais ce don de soi et de ses connaissances n'est pas à sens unique. Quel plaisir de voir un regard s'allumer, un sourire de compréhension éclairer un visage, une étincelle d'intérêt pétiller ...
L'enseignant n'est-il pas avant tout maïeuticien ?


marie dion - 30.06.14 à 09:13 - # - Répondre -

Re: petites réflexions suite à "l'école du bonheur"

Je suis d'accord avec le fond de votre démarche. La maïeutique est bien sûr au coeur de l'enseignement.
Je vous souhaite de continuer votre carrière avec le même élan.
Merci pour cette contribution.
Bruno Magret

bruno - 02.07.14 à 08:30 - # - Répondre -

Re: petites réflexions suite à "l'école du bonheur"

Je suis également du même avis. Bonne continuation avec votre blog.
Julien

Chirurgien Genou Bordeaux - 25.01.16 à 12:24 - # - Répondre -

Re: petites réflexions suite à "l'école du bonheur"

Merci pour votre commentaire.
B.Magret

bruno - 29.01.16 à 16:12 - # - Répondre -

Commenter l'article