Samedi 01 Septembre 2007
La Consultation philosophique
Mots-clés : Consultations philosophiques, Cafés Philos, Nouvelles Pratiques Philosophiques
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Clara, dans cet article, ressemble étrangement à la journaliste qui m'a interrogé.
Lorsque cette journaliste m'a contacté, Je lui ai proposé, pour comprendre de l'intérieur l'intérêt de ce travail, d'expérimenter avec moi une consultation.
"Une vie sans examen, ne mérite pas d'être vécue" Socrate
Si certains philosophes ont tenu un rôle de conseillés auprès des gens de pouvoir, comme le fut Aristote auprès de Philippe de Macédoine, Sénèque auprès de Néron, Descartes auprès de la reine Christine de Suède, ou encore Voltaire auprès de Catherine II de Russie, l'accompagnement philosophique individualisé s'est aujourd'hui démocratisé.
La Consultation philosophique a été conçue par le philosophe allemand Gerd.B.Achenbach en 1981, puis elle s'est répandue dans le monde, en passant par la Hollande, l'Autriche, la Norvège et les pays anglo-saxons. Elle se développe actuellement en Russie, sur le continent africain et en Asie.
En France, c'est Marc Sautet, l'initiateur des "Cafés philos", qui ouvrit le premier cabinet de Consultations Philosophique en 1992. Par la suite, Oscar Brénifié, Eugénie Vegleris, ou encore Laurence Bouchet ont popularisé cette pratique, qui se développe depuis 20 ans en marge des institutions.
En ce qui me concerne, je suis l'un des premiers animateurs de "Cafés Philos" et initiateur des "Nouvelles Pratiques Philosophiques" en France. La Consultation philosophique individuelle fait donc partie intégrante du métier de Philosophe-Praticien, que j'exerce depuis 25 ans.
La philosophie pratique n'est pas seulement liée à la connaissance intellectuelle de l'Histoire de la pensée et des grands auteurs. Elle est aussi le fruit d'un parcours de vie, d'une maturité d'esprit et d'un sensibilité forgée par les épreuves de l'existence. La qualité première d'un Philosophe-Praticien(ne) est donc l'écoute, la bienveillance et la rigueur du raisonnement.
L'Emergence du Conseil personnalisé
Si dans les siècles passés, l'Eglise, la caste, la communauté ou la famille offraient un sens à l'existence, elles empêchaient du même coup le développement et l'autonomie de la conscience individuelle. Après la Révolution française, les valeurs de l'Ancien Régime et les castes s'étant effondrées, l'avènement du monde moderne vit le poids de la communauté s'alléger. La morale de l'Eglise, de la communauté et les valeurs du pater familias étant supplantées par celles de la Souveraineté individuelle, le développement de l'individualisme moderne et la démocratie nous poussa à nous prendre en main, en cherchant par nous mêmes le sens de notre propre existence. Pour accéder à notre autonomie et à notre Souveraineté individuelle, il nous fallut prendre conscience des contraintes, que le conservatisme du monde traditionnel avait imprimé dans notre propre psyché. Le peu d'importance accordée à l'individualité, nous avait contraints à refouler nos propres désirs. Ce refoulement nous avait également caché les traumatismes, que le moralisme religieux, le familialisme et le patriarcat avaient causé dans notre développement psychologique. C'est en grande partie à cause de cela, que la psychiatrie, la psychanalyse, puis les multiples méthodes de psychothérapie s'imposèrent à partir du 20ème siècle.
Aujourd'hui, nous sommes passés de l'individualisme philosophique, mode de vie nécessaire à l'épanouissement de l'individu, à son excès : la glorification du "moi". Notre mode de vie consumériste nous a rendu hyper égoïste et nous vivons dans une société atomisée, où l'isolement devient notre lot quotidien. Nous n'avons guère le temps de discuter, de dialoguer avec les autres du "sens" de la vie et des questions essentielles, qui se posent à notre humanité. La productivité, imposée par le monde du travail, ne nous en laisse pas le temps, et notre mode de vie nous impose un rythme qu'il nous est difficile de soutenir. Notre époque a vu la cellule familiale éclater, mais les tabous limitent toujours les échanges entre ce qui reste des membres d'une même famille. Parfois, le dialogue nécessaire à la bonne entente familiale n'existe plus, ou n'a jamais existé. Dans la vie du couple, quand la violence n'éclate pas, la peur du conflit freine la nécessité de se parler. A cause de ce manque de dialogue, l'adolescent s'enferme dans sa chambre, quand il ne va pas chercher ailleurs l'écoute qu'il ne trouve pas dans son foyer, avec les risques que cela suppose. Certains sujets de discussions sont évités dans notre cercle d'amis, par peur de perdre des amitiés qui nous paraissent précieuses. Ce manque de dialogue menace notre vie démocratique et le débat public nécessaire à notre vie de citoyen(ne). Les nouvelles technologies de l'information, le développement du numérique nous envahissent et médiatisent toujours plus nos relations, nous isolant les uns des autres, engendrant la peur d'autrui. Nous nous recroquevillons sur nous-mêmes, dans la paix d'un confort illusoire.
Nous tentons de compenser cet isolement par une consommation effreinée. L'exigence du "marché", la compétitivité économique et la quête de la puissance sociale nous divisent davantage. Le développement exponentiel des maladies psychosociales et l'implosion de notre société en est le prix à payer. Livrés à nous-mêmes, nous cherchons secours auprès des "spécialistes" du "bien être", qui offrent leurs recettes sur les médias et les réseaux sociaux. Depuis quelques années, le "développement personnel" et le "coaching" tentent d'aider celles et ceux, qui sont en demande de "conseils", à développer leurs propres potentialités, pour faire face aux exigences hyper individualistes de notre société.
Et la "sagesse" dans tout cela ?
Aujourd'hui, c'est à cette question, que la philosophie tente de répondre, non pas seulement de manière académique et spéculative, mais pratique. Dans cette fourmilière hyper active qu'est notre société en déshérence, il est nécessaire de s'arrêter afin de prendre du temps, pour réfléchir profondément au sens de notre propre vie.
Les dangers des psychothérapies mal comprises
Tout d'abord, il nous faut dire quelques mots de la psychiatrie, de la psychanalyse et des nombreuses psychothérapies, qui ont pour postulat le "pathos", dont seraient victimes leur patients. Pour reprendre le concept d'André Conte Sponville, le "pan médicalisme" impose son emprise sur nos sociétés modernes, et fait de nos problèmes relationnels, non pas des défis à relever pour évoluer, mais un souci d'ordre médical. Nous avons tellement intégré cette manière de penser, qu'il nous arrive souvent mécaniquement de demander aux autres, lors d'un conflit, "d'aller se faire soigner".
Selon le point de vue de la psychanalyse et des psychothérapies qui en découlent, nous serions tous plus ou moins névrosés du fait même de la civilisation, ainsi que de notre infantilité affective et sexuelle. La mise à jour et l'analyse de "l'inconscient" nous permettraient alors de sortir de ce "pathos", afin de mieux gérer nos existences, tout en sublimant notre énergie infantile et chaotique.
Les thérapies comportementales, quant à elles, nous permettraient, sans avoir recours à de longues années d'analyse, de nous débarrasser de nos comportements perturbés par des manies ou des phobies.
Toutes ces méthodes offrent des résultats, mais elles peuvent également induire des effets pervers, selon les compétences du praticien(ne).
La psychanalyse coûte chère et il faut de longues années pour obtenir des résultats. De plus, certains psychanalistes peuvent abuser du transfert pour s'attacher leurs clients. Présupposer systématiquement le "pathos" chez un individu, c'est prendre le risque de l'enfermer dans une pathologie psychologique imaginaire. Présupposer que nos névroses proviennent exclusivement de notre passé personnel, et inviter son patient à systématiquement se raconter lui-même, peut entrainer une fixation égocentrique.
Quant aux psychothérapies comportementales, elles peuvent sans doute diminuer, voir annuler les symptômes, mais sans réellement prendre en compte la cause inconsciente du problème, qui tôt ou tard se manifestera par un autre biais. Les psychothérapies, en générale, ont tendance à enfermer les problèmes, que nous rencontrons dans une sphère purement individuelle. C'est oublier, que l'environnement économique, politique et social induit, de par son idéologie contraignante, des logiques destructrices, qui sont malheureusement adoptées trop facilement par les individus. Il ne faut pas chercher exclusivement la source des problèmes psychologiques dans les sentiments et les émotions individuels qu'ils génèrent. On oublie trop facilement d'éxaminer les principes sur lesquels reposent nos raisonnements. Dans une société, par exemple, ou l'idéologie de l'intérêt individuel et de la compétition est exacerbée, on ne devrait pas s'étonner de voir se développer des troubles psychologiques graves. Dans une société où s'exerce la contrainte du temps et l'obssession de l'efficacité permanente, ces thérapies mal comprises peuvent alors se borner à rafistoler la psyché des individus, afin de les rendre apte à réintégrer le "marché".
Les solutions pharmaceutiques de la psychiatrie, si elles sont parfois nécessaires, diminuent la vitalité nécessaire à la réflexion. Elles peuvent donner l'illusion de ne plus avoir à faire d'effort pour se connaître soi-même et réformer sa façon de penser. Comme s'il suffisait de prendre du Prozac pour faire disparaître les symptômes et aller mieux. On peut faire disparaître un douleur dentaire par des analgésiques, mais la dent continue à pourrir sans que nous puissions nous en rendre compte. Un jour viendra où toute la dent sera gâtée et il alors faudra l'arracher. Il y a des gens qui, refusant de régler leur problèmes, finissent par ne plus voir d'autres choix, que celui du suicide.
Le développement personnel a aussi, quant à lui, ses dangers. En mettant l'accent sur la réussite purement personnel, on risque d'enfermer l'individu dans son propre égoïsme. Certains outils proposés par certains praticien(ne)s, tels que les exercices de méditation ou de travail sur "l'énergie", ont été puisés dans des traditions spirituelles plus que millénaires. Ces outils n'ont pas vocation à être utilisés pour satisfaire les exigences d'une réussite purement personnelle, mais pour nous aider à nous ouvrir aux autres. utiliser ces méthodes dans un sens purement égocentrique, c'est risquer le désastre psychologique.
Le cadre de la Consultation philosophique
"Nous ne traitons pas les gens trop pertubés. Nous n'éssayons même pas de négocier avec les psychoses ou les maladies mentales. Ce que nous disions, par contre, c'est que se sentir perdu ou mal dans sa peau n'est pas nécessairement une maladie. Pour se sentir pleinement humain, il faut multiplier les expériences, jongler avec les bons comme les mauvais côtés de la vie, faire des choix et accepter les changements. Les divorces, les changements de carrière ou les disputes entre les parents et les enfants ne sont pas des maladies mentales. Et il me semble toujours possible d'éclairer ces situations d'un point de vue philosophique." Lou Marinoff
La Consultation philosophique n'a pas affaire à des patient(e)s, mais à des gens qui ont tout simplement besoin de clarifier leur esprit, afin de penser et vivre plus sereinement. Le fait d'avoir mal à l'existence ne relève pas nécessairement d'une pathologie psychologique. Ce "mal être" peut tout simplement être la conséquence d'une manière erronée de penser, et d'un trop grand écart entre le "principe" de réalité et l'idée que l'on se fait de soi-même et du monde. La porte d'entrée n'est donc plus le "pathos", mais le "Logos", ainsi que l'examen de la pensée qui conduit les individus à voir le monde, tel qu'ils le voient. Le Philosophe Praticien(ne) conduit cet examen en toute impartialité, sans porter de jugement sur quiconque. Il prend la posture de l'ignorant, tout en questionnant le sujet qui le consulte, de manière à lui permettre de trouver les réponses à ses problèmes par lui-même. La seule mesure du Philosophe Praticien(ne) est le "bons sens", (que l'on ne confondra pas ici avec le sens commun) et la logique rationnelle, sans s'enfermer dans un rationalisme étroit. Autrement dit, l'inspiration et l'intuition, par exemple, sont toujours prises en compte. Elles peuvent transcender nos raisonnements, mais jamais être en contradiction avec la "raison". La "juste mesure" apportée par la "raison" des philosophes n'est pas froide et calculante. Les passions ne sont donc pas rejetées, mais elles doivent être éclairées. la raison sans passion est vide, mais la passion sans raison est aveugle et destructrice.
Nous avons tendance à nous arranger avec nous mêmes, en développant de faux raisonnements, pour justifier l'irrationalité de nos points de vue. Nous finissont par croire à nos faux raisonnements, que nos habitudes mentales transforment en certitude. Mais ces fausses logiques finissent toujours par entrer en contradiction avec le "principe" de réalité, auquel nous voulons souvent échapper. C'est ce refus du "réel" qui provoque la souffrance psychologique.
Le Philosophe Praticien(ne) ne permet pas que l'on s'apitoie sur soi-même. Il s'agit, au contraire, de transformer en défi les problèmes de notre vie quotidienne. Nos problèmes sont une invitation à la réflexion. Les émotions, suscitées par les affects, troublent la sérénité nécessaire à la réflexion, car cette dernière devrait pouvoir se tranformer en méditation. C'est pourquoi, le Philosophe Praticien(ne) nous invite toujours à prendre du recul par rapport à nos affects. En conséquence, il n'y a pas de transfert et de dépendance vis à vis du Philosophe Praticien(ne).
Il ne s'agit pas de se raconter, car nos problèmes ne relèvent pas uniquement de notre vie personnelle. Nous héritons des conséquences et des choix de notre espèce. Il nous faut prendre en compte l'histoire humaine, ainsi que l'environnement culturel, social et économique qui ont modelé notre propre personnalité. Il nous faut également tenter de remonter aux sources de notre manière de raisonner, en essayant de comprendre le développement historique de la pensée humaine. Ce n'est pas seulement nous qui souffrons, mais l'humanité qui souffre en nous. Cette comprehension, nous libère du redoublement inutile de la souffrance, lié au positionnement égocentrique, qui se traduit par : "Pourquoi moi ?".
Le Philosophe Praticien(ne) ne prétend pas faire mieux, que la psychiatrie, la psychanalyse et les multiples méthodes de psychothérapie. Ces dernières ont leur importance en ce qui concerne le domaine des pathologies psychologiques. Certaines personnes ont, dans un premier temps, besoin de se libérer, en exprimant les affects produits par des traumatismes conscients et inconscients. Leurs émotions brouillent leur réflexion et modifient leur comportement. Sans ce travail préalable, il leur est impossible de raisonner clairement et le Philosophe Praticien(ne) refuse de prendre en charge celles et ceux qui ont besoin de ce type de soin. Cependant, s'il faut pour certaines personnes se libérer, dans un premier temps, de la charge émotionnelle de leurs affects, il est tout autant nécessaire, par la suite, de reconstruire une vision du monde cohérente, en accord avec le "principe" de réalité et soutenue par des chaînes de raisonnement logiques.
Par contre, la Consultation philosophique peut être une bonne alternative pour celles et ceux, qui ont simplement besoin de clarifier leur esprit, de discuter et d'approfondir certains sujets, voire de déchiffrer les énigmes existentielles auxquelles la "vie" les confronte. Certains d'entre nous ne sont pas particulièrement handicapés par leurs névorses, mais ils ont réellement besoin de dialoguer avec quelqu'un de bienveillant et capable de les aider à penser par eux-mêmes. Il n'y a aucun engagement sur le nombre de consultations philosophiques nécessaires pour celles et ceux qui consultent. Il suffit parfois d'une ou deux séances pour simplement voir plus clair en soi.
Bien évidemment, il n'est pas possible, dans ce court exposé, de fournir toutes les techniques et tous les outils utilisés par le Philosophe-Praticien(ne) au cours d'une consultation. Cela nécessiterait d'y consacrer un ouvrage conséquent. Il ne s'agit ici que d'en dessiner les plus grandes lignes.
Une Consultation philosophique dure en moyenne une heure. Le problème qui est traité émane, bien évidement, des difficultés que rencontrent celles et ceux qui viennent consulter, ou des questions qu'ils se posent sur le sens de leur propre existence. Mais le Philosophe-Praticien(ne) invite tôt ou tard le sujet qui consulte à universaliser sa problématique, de manière à se libérer du petit logos (moi), pour tendre vers le Logos. Il lui faut également se confronter à l'altérité et tenter de se rendre étranger à lui-même, en prenant le contre pied de sa propre pensée. Il ne s'agit pas ici de s'enfermer dans le sens commun, la pensée unique ou la complaidsance morale, mais de comprendre que la vie, dans son "mystère", dépasse notre seul point de vue personnel.
Une Consultation philosophique se déroule oralement, en face à face. Toutefois, chacun et chacune doit noter scrupuleusement les questions et les réponses émises au cours de l'entretien. Ici l'écrit joue plusieurs fonctions, dont celle de se "poser", de prendre la distance nécessaire à la réflexion, de façon à éviter toutes réactions intempestives et les charges émotionnelles suceptibles de brouiller le raisonnement, qui doit être clair et limpide. L'écrit permet aussi de retrouver les chaînes de raisonnement, qui se sont construites tout au long de l'entretien, de manière à avoir une vision globale de la séance. La trace de l'écrit a l'avantage de ne pas renier ce qui s'est dit, d'assumer sa parole, et accepter les conséquences de ses propres raisonnements, afin d'être conscient de sa manière de penser. Les concepts, que nous utilisons de manière automatique, ont un sens et sont souvent rélélateurs.
La trace de l'écrit permet également au "sujet", qui est venu consulter, de revenir plus tard sur ce qui s'est dit au cours de l'entretien. Si le Philosophe-Praticien(ne) et le "sujet" qui consulte s'entendent pour se revoir régulièrement, ce dernier devra se munir d'un cahier, lui permettant de retrouver tous les entretiens et voir l'évolution de sa pensée.
La méthode de la Consultation philosophique
I La "problématisation"
"C'est en effet l'étonnement qui poussa comme aujourd'hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques." Aristote
La consultation philosophique se déroule en trois étapes : la problématisation, l'enquête ou l'analyse et la conceptualisation.
Dans la première étape (problématisation), le "sujet" qui consulte pose sa question au Philosophe-praticien(ne). Celle-ci doit avoir pour lui de l'importance et mettre quelque chose en jeu dans son parcours de vie. Cette question ne peut pas être purement intellectuelle et désincarnée. Certain(ne)s se cachent derrière ce genre de question, pour ne pas avoir à se remettre en cause. La Consultation est un travail philosophique et non une discussion sur la philosophie.
Le désespoir n'est pas la source du questionnement philosophique, même s'il nous faut souvent partir des difficultés de celui ou celle qui consulte. Si désespoir, il y a, celui-ci doit être actif et constituer une méthode pour se libérer des illusions. C'est "l'étonnement" devant la "vie", qui nous plonge dans le questionnement, comme lorsque nous étions des enfants. Le questionnement doit également surgir de l'amour de la "connaissance" pour elle-même, que l'on ne confondra pas ici avec le "savoir.
La philosophie ne doit pas être confondue avec la discussion ou le débat d'opinions. La pratique philosophique doit s'inscrire dans la rigueur de l'enquête. Il s'agit pas de répondre tout de suite à la question qui a été posée, car ce qui surgit généralement au premier abord, se sont des réponses automatiques, issues de nos conditionnements et de nos jugements a priori. Il faut ici poser tout d'abord le problème et mettre en perspective les questions et les enjeux qui sont impliqués en lui.
La question de celle ou celui qui consulte doit, pour commencer, être questionnée elle-même. Si nous n'avons pas de réponses, c'est en général parce que nous avons de mauvaises questions. Il convient donc ici de s'interroger : Est-ce vraiment une bonne question ? Cache-t-elle une autre question plus profonde ? Est-elle contradictoire dans sa formulation? Cette question n'a-t-elle pas de présupposés implicites ?... Lorsque que l'on questionne, c'est justement parce que l'on ne connait pas la réponse, mais nos questions sont souvent des réponses déguisées, pour nous convaincre nous mêmes et les autres du bien fondé de nos opinions.
En posant le problème, celles et ceux qui consultent sont invités à prendre de la distance par rapport à eux-mêmes, tout en suspendant leur jugement pour faire place à l'écoute et à l'observation. C'est dans cette suspension du jugement, que se cache finalement la philosophie. C'est dans cette mise à distance de nos affects personnels, de nos opinions toutes faites, de notre vision égocentrique, que s'éveillent le détachement et la sérénité qui nous permettent de traiter le problème.
Poser un problème est un art, un savoir faire, qui nous permet de parcourir la plus grande partie du chemin. Interroger un problème permet souvent de faire remonter à la surface, la réponse qui était contenue dans la question. Nous pourrions même dire, qu'une enquête philosophique est, elle même, une mise en problème continuelle.
Comme nous le disions plus haut, il s'agit dans cette étape de mettre en perpective le problème qui nous est posé, de l'interroger afin de faire émerger toutes les questions qu'il nous pose, de le circonscrire afin de ne pas s'égarer, de se mettre d'accord sur la signification des concepts et de définir ensemble un protocole de recherche.
Le protocole est une statégie de recherche dans laquelle il est décidé de la méthode la plus adéquat. Nous pouvons, par exemple, interroger les concepts contenus dans la question principale, répondre au problème par le moyen de l'élucidation causale ou encore, par le choix d'une question alternative pour suivre un cheminement dialectique.
II L'enquête philosophique
"Si l'on interroge bien les hommes, en posant bien les questions, ils découvrent d'eux-mêmes la vérité sur chaque chose." Platon
"Seule une enquête continue, continue au sens de persistante et connectée aux conditions d'une situation, peut fournir le matériel d'une opinion durable. John Dewey
La Consultation philosophique est un processus d'enquête qui se mène à deux. Le sujet qui consulte le Philosophe Praticien(ne) est invité à repenser tout ce qu'il croit savoir sur la question qu'il a posée. Dans cette étape, il doit répondre à sa propre question, guidé par le Philosophe Praticien(ne,) qui le pousse à penser par lui-même. La tradition rapporte que la mère de Socrate était Sage Femme. Platon s'est servi de ce fait, pour en faire une parabole sur le travail philosophique (maïeutique) exercé par Socrate. Si l'enfantement est le don de la vie organique, l'accouchement des "idées" est celui de la vie de l'esprit. Tout comme le pensait Socrate, le Philosophe Praticien(ne) émet consciemment le présupposé, qui consiste à affirmer qu'il n'y a rien à enseigner, mais que nous avons déjà les réponses à nos questions en nous-mêmes. Le Philosophe Praticien(ne) n'est pas un maître spirituel. Celui ou celle qui consulte doit chercher au plus profond de lui-même la réponse à sa propre question, en suivant le fil de sa propre intelligence naturelle et de son "bon sens". "Connais-toi, toi-même, et connaitras l'univers et les Dieux" était une sentence, qui était écrite à l'intérieur de l'antique temple de Delphes. Cette sentence résume bien le travail philosophique, que je viens de décrire.
Tout au long de l'enquête, le sujet doit développer l'écoute et réfléchir avec rigueur. C'est ce qui différencie le travail de la Consultation philosophique des psychothérapies, où le patient(e) donne libre cours à ses opinions et ses affects, tout en se racontant, pour se libérer de ce qui l'empêche de réfléchir.
Pendant l'entretien, le Philosophe Praticien(ne) renvoit souvent le sujet à lui-même et à ses propres contradictions, tout en s'efforçant de lui poser les bonnes questions. Chaque réponse du sujet est examinée. Elle doit en premier lieu répondre à la question qui a été posée. Il s'agit ensuite de mettre en évidence le présupposé sur laquelle elle s'appuie. Toute réponse est traitée comme une hypothèse et fera l'objet de la critique, en étant contredite, bousculée et confrontée au "principe" de réalité, afin d'être approfondie et validée sur le plan logique.
Le sujet, lui-même, peut être invité à prendre le contre pieds de ce qu'il affirme. Cet exercice lui permet d'assouplir et de travailler à ouvrir son esprit. Un esprit ouvert est plus important qu'une tête pleine d'opinions et de "savoirs".
Il n'y a pas dans ce travail d'enjeu de "vérité", mais il s'agit d'un exercice, voire d'un jeu où l'on fait l'expérience de sa propre "pensée". La Consultation philosophique est une sorte de laboratoire de la réflexion.
Toute nouvelle réponse est de nouveau interrogée, jusqu'à l'élucidation de la question initiale.
III Synthèse et conceptualisation
Pendant cette dernière étape, le Philosophe-praticien(ne) et le "sujet" récapitulent et résument le cheminement de la pensée, qui s'est opéré pendant la consultation. Après ce résumé, il est demandé à celui ou celle qui consulte de tenter d'expliciter les conclusions auxquelles il est arrivé. Ce résumé peut être etre suivi d'une maxime, inspirée par l'entretien, qui doit pouvoir être appliquée dans notre existence, tout en étant suceptible d'être universalisée.
Toutefois, l'esprit est vivant et ne peux se reposer sur des certitudes. Aucune réponse n'est définitive et il faut toujours remettre son ouvrage sur l'établi. Chaque problème est particulier et possède sa propre clé pour être résolu. Certes, certains problèmes rencontrés par la suite peuvent paraître semblables à ceux qui se sont présentés antérieurement. L'expérience de leur résolution est, bien sûr, indispensable dans le dénouement des problèmes, plus ou moins identiques qui se présentent dans le présent. Mais le monde étant impermanent, ces derniers, de part leur nouveauté, ont toujours une part d'inattendu. Cette nouveauté nous invite à faire preuve de créativité pour faire face au défi, que nous pose ces nouveaux problèmes, et s'adapter à la situation.
Aucune conclusion n'est donc définitive et entraîne le questionnement sur ce qui a été conclu. Beaucoup se sentent frustrés de ne pas avoir de réponses définitives et rejettent la philosophie à cause de cela. Ils ne comprennent pas que c'est le cheminement qui compte et non le but. La réflexion est l'attitude naturelle de l'esprit. C'est en cela que ce dernier est beau, puissant et vivant. L'important est donc la vitalité et la sérénité qui se sont dégagées pendant cette réflexion. Le "sujet" doit alors réfléchir, avec l'aide du Philosophe-Praticien(ne), aux nouvelles questions, que cet entretien a permi de faire surgir et auxquelles il devra réfléchir par la suite.
Conclusion
Nous pourrions être amené à penser qu'une Consultation philosophique est un moment austère, mais elle nous permet, au contraire de retrouver la joie d'une réflexion commune. Ces moments sont de plus en plus rares dans notre société. La Consultation philosophique est un moment où, paradoxalement, les tracas de la vie quotidienne sont suspendus. La réflexion se fait alors méditation.
Bruno Magret
Si certains philosophes ont tenu un rôle de conseillés auprès des gens de pouvoir, comme le fut Aristote auprès de Philippe de Macédoine, Sénèque auprès de Néron, Descartes auprès de la reine Christine de Suède, ou encore Voltaire auprès de Catherine II de Russie, l'accompagnement philosophique individualisé s'est aujourd'hui démocratisé.
La Consultation philosophique a été conçue par le philosophe allemand Gerd.B.Achenbach en 1981, puis elle s'est répandue dans le monde, en passant par la Hollande, l'Autriche, la Norvège et les pays anglo-saxons. Elle se développe actuellement en Russie, sur le continent africain et en Asie.
En France, c'est Marc Sautet, l'initiateur des "Cafés philos", qui ouvrit le premier cabinet de Consultations Philosophique en 1992. Par la suite, Oscar Brénifié, Eugénie Vegleris, ou encore Laurence Bouchet ont popularisé cette pratique, qui se développe depuis 20 ans en marge des institutions.
En ce qui me concerne, je suis l'un des premiers animateurs de "Cafés Philos" et initiateur des "Nouvelles Pratiques Philosophiques" en France. La Consultation philosophique individuelle fait donc partie intégrante du métier de Philosophe-Praticien, que j'exerce depuis 25 ans.
La philosophie pratique n'est pas seulement liée à la connaissance intellectuelle de l'Histoire de la pensée et des grands auteurs. Elle est aussi le fruit d'un parcours de vie, d'une maturité d'esprit et d'un sensibilité forgée par les épreuves de l'existence. La qualité première d'un Philosophe-Praticien(ne) est donc l'écoute, la bienveillance et la rigueur du raisonnement.
L'Emergence du Conseil personnalisé
Si dans les siècles passés, l'Eglise, la caste, la communauté ou la famille offraient un sens à l'existence, elles empêchaient du même coup le développement et l'autonomie de la conscience individuelle. Après la Révolution française, les valeurs de l'Ancien Régime et les castes s'étant effondrées, l'avènement du monde moderne vit le poids de la communauté s'alléger. La morale de l'Eglise, de la communauté et les valeurs du pater familias étant supplantées par celles de la Souveraineté individuelle, le développement de l'individualisme moderne et la démocratie nous poussa à nous prendre en main, en cherchant par nous mêmes le sens de notre propre existence. Pour accéder à notre autonomie et à notre Souveraineté individuelle, il nous fallut prendre conscience des contraintes, que le conservatisme du monde traditionnel avait imprimé dans notre propre psyché. Le peu d'importance accordée à l'individualité, nous avait contraints à refouler nos propres désirs. Ce refoulement nous avait également caché les traumatismes, que le moralisme religieux, le familialisme et le patriarcat avaient causé dans notre développement psychologique. C'est en grande partie à cause de cela, que la psychiatrie, la psychanalyse, puis les multiples méthodes de psychothérapie s'imposèrent à partir du 20ème siècle.
Aujourd'hui, nous sommes passés de l'individualisme philosophique, mode de vie nécessaire à l'épanouissement de l'individu, à son excès : la glorification du "moi". Notre mode de vie consumériste nous a rendu hyper égoïste et nous vivons dans une société atomisée, où l'isolement devient notre lot quotidien. Nous n'avons guère le temps de discuter, de dialoguer avec les autres du "sens" de la vie et des questions essentielles, qui se posent à notre humanité. La productivité, imposée par le monde du travail, ne nous en laisse pas le temps, et notre mode de vie nous impose un rythme qu'il nous est difficile de soutenir. Notre époque a vu la cellule familiale éclater, mais les tabous limitent toujours les échanges entre ce qui reste des membres d'une même famille. Parfois, le dialogue nécessaire à la bonne entente familiale n'existe plus, ou n'a jamais existé. Dans la vie du couple, quand la violence n'éclate pas, la peur du conflit freine la nécessité de se parler. A cause de ce manque de dialogue, l'adolescent s'enferme dans sa chambre, quand il ne va pas chercher ailleurs l'écoute qu'il ne trouve pas dans son foyer, avec les risques que cela suppose. Certains sujets de discussions sont évités dans notre cercle d'amis, par peur de perdre des amitiés qui nous paraissent précieuses. Ce manque de dialogue menace notre vie démocratique et le débat public nécessaire à notre vie de citoyen(ne). Les nouvelles technologies de l'information, le développement du numérique nous envahissent et médiatisent toujours plus nos relations, nous isolant les uns des autres, engendrant la peur d'autrui. Nous nous recroquevillons sur nous-mêmes, dans la paix d'un confort illusoire.
Nous tentons de compenser cet isolement par une consommation effreinée. L'exigence du "marché", la compétitivité économique et la quête de la puissance sociale nous divisent davantage. Le développement exponentiel des maladies psychosociales et l'implosion de notre société en est le prix à payer. Livrés à nous-mêmes, nous cherchons secours auprès des "spécialistes" du "bien être", qui offrent leurs recettes sur les médias et les réseaux sociaux. Depuis quelques années, le "développement personnel" et le "coaching" tentent d'aider celles et ceux, qui sont en demande de "conseils", à développer leurs propres potentialités, pour faire face aux exigences hyper individualistes de notre société.
Et la "sagesse" dans tout cela ?
Aujourd'hui, c'est à cette question, que la philosophie tente de répondre, non pas seulement de manière académique et spéculative, mais pratique. Dans cette fourmilière hyper active qu'est notre société en déshérence, il est nécessaire de s'arrêter afin de prendre du temps, pour réfléchir profondément au sens de notre propre vie.
Les dangers des psychothérapies mal comprises
Tout d'abord, il nous faut dire quelques mots de la psychiatrie, de la psychanalyse et des nombreuses psychothérapies, qui ont pour postulat le "pathos", dont seraient victimes leur patients. Pour reprendre le concept d'André Conte Sponville, le "pan médicalisme" impose son emprise sur nos sociétés modernes, et fait de nos problèmes relationnels, non pas des défis à relever pour évoluer, mais un souci d'ordre médical. Nous avons tellement intégré cette manière de penser, qu'il nous arrive souvent mécaniquement de demander aux autres, lors d'un conflit, "d'aller se faire soigner".
Selon le point de vue de la psychanalyse et des psychothérapies qui en découlent, nous serions tous plus ou moins névrosés du fait même de la civilisation, ainsi que de notre infantilité affective et sexuelle. La mise à jour et l'analyse de "l'inconscient" nous permettraient alors de sortir de ce "pathos", afin de mieux gérer nos existences, tout en sublimant notre énergie infantile et chaotique.
Les thérapies comportementales, quant à elles, nous permettraient, sans avoir recours à de longues années d'analyse, de nous débarrasser de nos comportements perturbés par des manies ou des phobies.
Toutes ces méthodes offrent des résultats, mais elles peuvent également induire des effets pervers, selon les compétences du praticien(ne).
La psychanalyse coûte chère et il faut de longues années pour obtenir des résultats. De plus, certains psychanalistes peuvent abuser du transfert pour s'attacher leurs clients. Présupposer systématiquement le "pathos" chez un individu, c'est prendre le risque de l'enfermer dans une pathologie psychologique imaginaire. Présupposer que nos névroses proviennent exclusivement de notre passé personnel, et inviter son patient à systématiquement se raconter lui-même, peut entrainer une fixation égocentrique.
Quant aux psychothérapies comportementales, elles peuvent sans doute diminuer, voir annuler les symptômes, mais sans réellement prendre en compte la cause inconsciente du problème, qui tôt ou tard se manifestera par un autre biais. Les psychothérapies, en générale, ont tendance à enfermer les problèmes, que nous rencontrons dans une sphère purement individuelle. C'est oublier, que l'environnement économique, politique et social induit, de par son idéologie contraignante, des logiques destructrices, qui sont malheureusement adoptées trop facilement par les individus. Il ne faut pas chercher exclusivement la source des problèmes psychologiques dans les sentiments et les émotions individuels qu'ils génèrent. On oublie trop facilement d'éxaminer les principes sur lesquels reposent nos raisonnements. Dans une société, par exemple, ou l'idéologie de l'intérêt individuel et de la compétition est exacerbée, on ne devrait pas s'étonner de voir se développer des troubles psychologiques graves. Dans une société où s'exerce la contrainte du temps et l'obssession de l'efficacité permanente, ces thérapies mal comprises peuvent alors se borner à rafistoler la psyché des individus, afin de les rendre apte à réintégrer le "marché".
Les solutions pharmaceutiques de la psychiatrie, si elles sont parfois nécessaires, diminuent la vitalité nécessaire à la réflexion. Elles peuvent donner l'illusion de ne plus avoir à faire d'effort pour se connaître soi-même et réformer sa façon de penser. Comme s'il suffisait de prendre du Prozac pour faire disparaître les symptômes et aller mieux. On peut faire disparaître un douleur dentaire par des analgésiques, mais la dent continue à pourrir sans que nous puissions nous en rendre compte. Un jour viendra où toute la dent sera gâtée et il alors faudra l'arracher. Il y a des gens qui, refusant de régler leur problèmes, finissent par ne plus voir d'autres choix, que celui du suicide.
Le développement personnel a aussi, quant à lui, ses dangers. En mettant l'accent sur la réussite purement personnel, on risque d'enfermer l'individu dans son propre égoïsme. Certains outils proposés par certains praticien(ne)s, tels que les exercices de méditation ou de travail sur "l'énergie", ont été puisés dans des traditions spirituelles plus que millénaires. Ces outils n'ont pas vocation à être utilisés pour satisfaire les exigences d'une réussite purement personnelle, mais pour nous aider à nous ouvrir aux autres. utiliser ces méthodes dans un sens purement égocentrique, c'est risquer le désastre psychologique.
Le cadre de la Consultation philosophique
"Nous ne traitons pas les gens trop pertubés. Nous n'éssayons même pas de négocier avec les psychoses ou les maladies mentales. Ce que nous disions, par contre, c'est que se sentir perdu ou mal dans sa peau n'est pas nécessairement une maladie. Pour se sentir pleinement humain, il faut multiplier les expériences, jongler avec les bons comme les mauvais côtés de la vie, faire des choix et accepter les changements. Les divorces, les changements de carrière ou les disputes entre les parents et les enfants ne sont pas des maladies mentales. Et il me semble toujours possible d'éclairer ces situations d'un point de vue philosophique." Lou Marinoff
La Consultation philosophique n'a pas affaire à des patient(e)s, mais à des gens qui ont tout simplement besoin de clarifier leur esprit, afin de penser et vivre plus sereinement. Le fait d'avoir mal à l'existence ne relève pas nécessairement d'une pathologie psychologique. Ce "mal être" peut tout simplement être la conséquence d'une manière erronée de penser, et d'un trop grand écart entre le "principe" de réalité et l'idée que l'on se fait de soi-même et du monde. La porte d'entrée n'est donc plus le "pathos", mais le "Logos", ainsi que l'examen de la pensée qui conduit les individus à voir le monde, tel qu'ils le voient. Le Philosophe Praticien(ne) conduit cet examen en toute impartialité, sans porter de jugement sur quiconque. Il prend la posture de l'ignorant, tout en questionnant le sujet qui le consulte, de manière à lui permettre de trouver les réponses à ses problèmes par lui-même. La seule mesure du Philosophe Praticien(ne) est le "bons sens", (que l'on ne confondra pas ici avec le sens commun) et la logique rationnelle, sans s'enfermer dans un rationalisme étroit. Autrement dit, l'inspiration et l'intuition, par exemple, sont toujours prises en compte. Elles peuvent transcender nos raisonnements, mais jamais être en contradiction avec la "raison". La "juste mesure" apportée par la "raison" des philosophes n'est pas froide et calculante. Les passions ne sont donc pas rejetées, mais elles doivent être éclairées. la raison sans passion est vide, mais la passion sans raison est aveugle et destructrice.
Nous avons tendance à nous arranger avec nous mêmes, en développant de faux raisonnements, pour justifier l'irrationalité de nos points de vue. Nous finissont par croire à nos faux raisonnements, que nos habitudes mentales transforment en certitude. Mais ces fausses logiques finissent toujours par entrer en contradiction avec le "principe" de réalité, auquel nous voulons souvent échapper. C'est ce refus du "réel" qui provoque la souffrance psychologique.
Le Philosophe Praticien(ne) ne permet pas que l'on s'apitoie sur soi-même. Il s'agit, au contraire, de transformer en défi les problèmes de notre vie quotidienne. Nos problèmes sont une invitation à la réflexion. Les émotions, suscitées par les affects, troublent la sérénité nécessaire à la réflexion, car cette dernière devrait pouvoir se tranformer en méditation. C'est pourquoi, le Philosophe Praticien(ne) nous invite toujours à prendre du recul par rapport à nos affects. En conséquence, il n'y a pas de transfert et de dépendance vis à vis du Philosophe Praticien(ne).
Il ne s'agit pas de se raconter, car nos problèmes ne relèvent pas uniquement de notre vie personnelle. Nous héritons des conséquences et des choix de notre espèce. Il nous faut prendre en compte l'histoire humaine, ainsi que l'environnement culturel, social et économique qui ont modelé notre propre personnalité. Il nous faut également tenter de remonter aux sources de notre manière de raisonner, en essayant de comprendre le développement historique de la pensée humaine. Ce n'est pas seulement nous qui souffrons, mais l'humanité qui souffre en nous. Cette comprehension, nous libère du redoublement inutile de la souffrance, lié au positionnement égocentrique, qui se traduit par : "Pourquoi moi ?".
Le Philosophe Praticien(ne) ne prétend pas faire mieux, que la psychiatrie, la psychanalyse et les multiples méthodes de psychothérapie. Ces dernières ont leur importance en ce qui concerne le domaine des pathologies psychologiques. Certaines personnes ont, dans un premier temps, besoin de se libérer, en exprimant les affects produits par des traumatismes conscients et inconscients. Leurs émotions brouillent leur réflexion et modifient leur comportement. Sans ce travail préalable, il leur est impossible de raisonner clairement et le Philosophe Praticien(ne) refuse de prendre en charge celles et ceux qui ont besoin de ce type de soin. Cependant, s'il faut pour certaines personnes se libérer, dans un premier temps, de la charge émotionnelle de leurs affects, il est tout autant nécessaire, par la suite, de reconstruire une vision du monde cohérente, en accord avec le "principe" de réalité et soutenue par des chaînes de raisonnement logiques.
Par contre, la Consultation philosophique peut être une bonne alternative pour celles et ceux, qui ont simplement besoin de clarifier leur esprit, de discuter et d'approfondir certains sujets, voire de déchiffrer les énigmes existentielles auxquelles la "vie" les confronte. Certains d'entre nous ne sont pas particulièrement handicapés par leurs névorses, mais ils ont réellement besoin de dialoguer avec quelqu'un de bienveillant et capable de les aider à penser par eux-mêmes. Il n'y a aucun engagement sur le nombre de consultations philosophiques nécessaires pour celles et ceux qui consultent. Il suffit parfois d'une ou deux séances pour simplement voir plus clair en soi.
Bien évidemment, il n'est pas possible, dans ce court exposé, de fournir toutes les techniques et tous les outils utilisés par le Philosophe-Praticien(ne) au cours d'une consultation. Cela nécessiterait d'y consacrer un ouvrage conséquent. Il ne s'agit ici que d'en dessiner les plus grandes lignes.
Une Consultation philosophique dure en moyenne une heure. Le problème qui est traité émane, bien évidement, des difficultés que rencontrent celles et ceux qui viennent consulter, ou des questions qu'ils se posent sur le sens de leur propre existence. Mais le Philosophe-Praticien(ne) invite tôt ou tard le sujet qui consulte à universaliser sa problématique, de manière à se libérer du petit logos (moi), pour tendre vers le Logos. Il lui faut également se confronter à l'altérité et tenter de se rendre étranger à lui-même, en prenant le contre pied de sa propre pensée. Il ne s'agit pas ici de s'enfermer dans le sens commun, la pensée unique ou la complaidsance morale, mais de comprendre que la vie, dans son "mystère", dépasse notre seul point de vue personnel.
Une Consultation philosophique se déroule oralement, en face à face. Toutefois, chacun et chacune doit noter scrupuleusement les questions et les réponses émises au cours de l'entretien. Ici l'écrit joue plusieurs fonctions, dont celle de se "poser", de prendre la distance nécessaire à la réflexion, de façon à éviter toutes réactions intempestives et les charges émotionnelles suceptibles de brouiller le raisonnement, qui doit être clair et limpide. L'écrit permet aussi de retrouver les chaînes de raisonnement, qui se sont construites tout au long de l'entretien, de manière à avoir une vision globale de la séance. La trace de l'écrit a l'avantage de ne pas renier ce qui s'est dit, d'assumer sa parole, et accepter les conséquences de ses propres raisonnements, afin d'être conscient de sa manière de penser. Les concepts, que nous utilisons de manière automatique, ont un sens et sont souvent rélélateurs.
La trace de l'écrit permet également au "sujet", qui est venu consulter, de revenir plus tard sur ce qui s'est dit au cours de l'entretien. Si le Philosophe-Praticien(ne) et le "sujet" qui consulte s'entendent pour se revoir régulièrement, ce dernier devra se munir d'un cahier, lui permettant de retrouver tous les entretiens et voir l'évolution de sa pensée.
La méthode de la Consultation philosophique
I La "problématisation"
"C'est en effet l'étonnement qui poussa comme aujourd'hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques." Aristote
La consultation philosophique se déroule en trois étapes : la problématisation, l'enquête ou l'analyse et la conceptualisation.
Dans la première étape (problématisation), le "sujet" qui consulte pose sa question au Philosophe-praticien(ne). Celle-ci doit avoir pour lui de l'importance et mettre quelque chose en jeu dans son parcours de vie. Cette question ne peut pas être purement intellectuelle et désincarnée. Certain(ne)s se cachent derrière ce genre de question, pour ne pas avoir à se remettre en cause. La Consultation est un travail philosophique et non une discussion sur la philosophie.
Le désespoir n'est pas la source du questionnement philosophique, même s'il nous faut souvent partir des difficultés de celui ou celle qui consulte. Si désespoir, il y a, celui-ci doit être actif et constituer une méthode pour se libérer des illusions. C'est "l'étonnement" devant la "vie", qui nous plonge dans le questionnement, comme lorsque nous étions des enfants. Le questionnement doit également surgir de l'amour de la "connaissance" pour elle-même, que l'on ne confondra pas ici avec le "savoir.
La philosophie ne doit pas être confondue avec la discussion ou le débat d'opinions. La pratique philosophique doit s'inscrire dans la rigueur de l'enquête. Il s'agit pas de répondre tout de suite à la question qui a été posée, car ce qui surgit généralement au premier abord, se sont des réponses automatiques, issues de nos conditionnements et de nos jugements a priori. Il faut ici poser tout d'abord le problème et mettre en perspective les questions et les enjeux qui sont impliqués en lui.
La question de celle ou celui qui consulte doit, pour commencer, être questionnée elle-même. Si nous n'avons pas de réponses, c'est en général parce que nous avons de mauvaises questions. Il convient donc ici de s'interroger : Est-ce vraiment une bonne question ? Cache-t-elle une autre question plus profonde ? Est-elle contradictoire dans sa formulation? Cette question n'a-t-elle pas de présupposés implicites ?... Lorsque que l'on questionne, c'est justement parce que l'on ne connait pas la réponse, mais nos questions sont souvent des réponses déguisées, pour nous convaincre nous mêmes et les autres du bien fondé de nos opinions.
En posant le problème, celles et ceux qui consultent sont invités à prendre de la distance par rapport à eux-mêmes, tout en suspendant leur jugement pour faire place à l'écoute et à l'observation. C'est dans cette suspension du jugement, que se cache finalement la philosophie. C'est dans cette mise à distance de nos affects personnels, de nos opinions toutes faites, de notre vision égocentrique, que s'éveillent le détachement et la sérénité qui nous permettent de traiter le problème.
Poser un problème est un art, un savoir faire, qui nous permet de parcourir la plus grande partie du chemin. Interroger un problème permet souvent de faire remonter à la surface, la réponse qui était contenue dans la question. Nous pourrions même dire, qu'une enquête philosophique est, elle même, une mise en problème continuelle.
Comme nous le disions plus haut, il s'agit dans cette étape de mettre en perpective le problème qui nous est posé, de l'interroger afin de faire émerger toutes les questions qu'il nous pose, de le circonscrire afin de ne pas s'égarer, de se mettre d'accord sur la signification des concepts et de définir ensemble un protocole de recherche.
Le protocole est une statégie de recherche dans laquelle il est décidé de la méthode la plus adéquat. Nous pouvons, par exemple, interroger les concepts contenus dans la question principale, répondre au problème par le moyen de l'élucidation causale ou encore, par le choix d'une question alternative pour suivre un cheminement dialectique.
II L'enquête philosophique
"Si l'on interroge bien les hommes, en posant bien les questions, ils découvrent d'eux-mêmes la vérité sur chaque chose." Platon
"Seule une enquête continue, continue au sens de persistante et connectée aux conditions d'une situation, peut fournir le matériel d'une opinion durable. John Dewey
La Consultation philosophique est un processus d'enquête qui se mène à deux. Le sujet qui consulte le Philosophe Praticien(ne) est invité à repenser tout ce qu'il croit savoir sur la question qu'il a posée. Dans cette étape, il doit répondre à sa propre question, guidé par le Philosophe Praticien(ne,) qui le pousse à penser par lui-même. La tradition rapporte que la mère de Socrate était Sage Femme. Platon s'est servi de ce fait, pour en faire une parabole sur le travail philosophique (maïeutique) exercé par Socrate. Si l'enfantement est le don de la vie organique, l'accouchement des "idées" est celui de la vie de l'esprit. Tout comme le pensait Socrate, le Philosophe Praticien(ne) émet consciemment le présupposé, qui consiste à affirmer qu'il n'y a rien à enseigner, mais que nous avons déjà les réponses à nos questions en nous-mêmes. Le Philosophe Praticien(ne) n'est pas un maître spirituel. Celui ou celle qui consulte doit chercher au plus profond de lui-même la réponse à sa propre question, en suivant le fil de sa propre intelligence naturelle et de son "bon sens". "Connais-toi, toi-même, et connaitras l'univers et les Dieux" était une sentence, qui était écrite à l'intérieur de l'antique temple de Delphes. Cette sentence résume bien le travail philosophique, que je viens de décrire.
Tout au long de l'enquête, le sujet doit développer l'écoute et réfléchir avec rigueur. C'est ce qui différencie le travail de la Consultation philosophique des psychothérapies, où le patient(e) donne libre cours à ses opinions et ses affects, tout en se racontant, pour se libérer de ce qui l'empêche de réfléchir.
Pendant l'entretien, le Philosophe Praticien(ne) renvoit souvent le sujet à lui-même et à ses propres contradictions, tout en s'efforçant de lui poser les bonnes questions. Chaque réponse du sujet est examinée. Elle doit en premier lieu répondre à la question qui a été posée. Il s'agit ensuite de mettre en évidence le présupposé sur laquelle elle s'appuie. Toute réponse est traitée comme une hypothèse et fera l'objet de la critique, en étant contredite, bousculée et confrontée au "principe" de réalité, afin d'être approfondie et validée sur le plan logique.
Le sujet, lui-même, peut être invité à prendre le contre pieds de ce qu'il affirme. Cet exercice lui permet d'assouplir et de travailler à ouvrir son esprit. Un esprit ouvert est plus important qu'une tête pleine d'opinions et de "savoirs".
Il n'y a pas dans ce travail d'enjeu de "vérité", mais il s'agit d'un exercice, voire d'un jeu où l'on fait l'expérience de sa propre "pensée". La Consultation philosophique est une sorte de laboratoire de la réflexion.
Toute nouvelle réponse est de nouveau interrogée, jusqu'à l'élucidation de la question initiale.
III Synthèse et conceptualisation
Pendant cette dernière étape, le Philosophe-praticien(ne) et le "sujet" récapitulent et résument le cheminement de la pensée, qui s'est opéré pendant la consultation. Après ce résumé, il est demandé à celui ou celle qui consulte de tenter d'expliciter les conclusions auxquelles il est arrivé. Ce résumé peut être etre suivi d'une maxime, inspirée par l'entretien, qui doit pouvoir être appliquée dans notre existence, tout en étant suceptible d'être universalisée.
Toutefois, l'esprit est vivant et ne peux se reposer sur des certitudes. Aucune réponse n'est définitive et il faut toujours remettre son ouvrage sur l'établi. Chaque problème est particulier et possède sa propre clé pour être résolu. Certes, certains problèmes rencontrés par la suite peuvent paraître semblables à ceux qui se sont présentés antérieurement. L'expérience de leur résolution est, bien sûr, indispensable dans le dénouement des problèmes, plus ou moins identiques qui se présentent dans le présent. Mais le monde étant impermanent, ces derniers, de part leur nouveauté, ont toujours une part d'inattendu. Cette nouveauté nous invite à faire preuve de créativité pour faire face au défi, que nous pose ces nouveaux problèmes, et s'adapter à la situation.
Aucune conclusion n'est donc définitive et entraîne le questionnement sur ce qui a été conclu. Beaucoup se sentent frustrés de ne pas avoir de réponses définitives et rejettent la philosophie à cause de cela. Ils ne comprennent pas que c'est le cheminement qui compte et non le but. La réflexion est l'attitude naturelle de l'esprit. C'est en cela que ce dernier est beau, puissant et vivant. L'important est donc la vitalité et la sérénité qui se sont dégagées pendant cette réflexion. Le "sujet" doit alors réfléchir, avec l'aide du Philosophe-Praticien(ne), aux nouvelles questions, que cet entretien a permi de faire surgir et auxquelles il devra réfléchir par la suite.
Conclusion
Nous pourrions être amené à penser qu'une Consultation philosophique est un moment austère, mais elle nous permet, au contraire de retrouver la joie d'une réflexion commune. Ces moments sont de plus en plus rares dans notre société. La Consultation philosophique est un moment où, paradoxalement, les tracas de la vie quotidienne sont suspendus. La réflexion se fait alors méditation.
Bruno Magret
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Un article de presse intéressant sur la consultation philosophique.
Clara, dans cet article, ressemble étrangement à la journaliste qui m'a interrogé.
Lorsque cette journaliste m'a contacté, Je lui ai proposé, pour comprendre de l'intérieur l'intérêt de ce travail, d'expérimenter avec moi une consultation.
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bruno - 16:09 - rubrique > La Consultation philosophique - - Permalien - 2 commentaires
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