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Cafés Philos et Nouvelles Pratiques Philosophiques
Penser par soi-même

Lundi 08 Octobre 2018

Les dangers de la procréation médicalement assistée (PMA)

Vers un nouvel eugénisme ?

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Les dangers de la procréation médicalement assistée (PMA)

 


De faux problèmes
 

Le débat sur la procréation médicalement assistée (PMA) est souvent masqué par le problème que pose encore, hélas, l'homosexualité dans nos sociétés. Cette dérive est d'ailleurs dangereuse, car elle ravive l'homophobie dans la population et nous évite surtout de nous poser les bonnes questions.
Le problème de la filiation n'est pas aussi important qu'on veut bien le dire. Ne pas connaître son père biologique est-il le drame que l'on tente de nous dépeindre ? Beaucoup de gens l'assument et ne sont pas nécessairement empêtrés dans leur histoire personnelle, au point d'en être traumatisés. La figure du père ne se réduit pas à sa dimension génétique. Le manque de père sur le plan éducatif est par contre un véritable souci, à moins que la mère soit assez forte et ferme pour combler ce déficit. De telles mères existent bien sûr. Cependant, en qualité d'enseignant, il m'est souvent arrivé de recevoir des familles monoparentales et de voir des femmes seules, en pleurs, nous avouer être débordées par leurs enfants, surtout lorsqu'ils deviennent adolescents. Les jeunes garçons deviennent rapidement ingérables, lorsqu'ils intègrent la violence souvent mise en valeur dans les médias et qu'ils ne connaissent, malheureusement, que le rapport de force comme forme de communication.
De plus, la remise en question de la loi du père, héritée de la dictature patriarcale, entraîne une crise de l'identité masculine et il nous est difficile aujourd'hui de faire une différence entre l'autorité du père et de la mère.

Il est quand même nécessaire de rappeler que dans d'autres cultures, les sociétés n'ont pas toujours été fondées sur la famille ; l'éducation des enfants était à la charge de toute la communauté. C'est particulièrement vrai dans les débuts de l'humanité. Par exemple, mis à part les autres membres de la famille, ce sont tous les habitants d'un même quartier qui devraient être solidaires les uns des autres dans l'éducation des enfants. Une société, organisée exclusivement autour de la cellule familiale, produit de l'isolement et facilite, d'ailleurs, la pression exercée par les pouvoirs politiques et économiques totalitaires. C'est ce type d'organisation sociale qui a engendré les sociétés totalitaires que nous avons connues au 20ème siècle, où les valeurs de la famille et de la patrie étaient exacerbées. Les communautés divisées en cellules familiales sont plus difficilement solidaires. Si toute la communauté était responsable des enfants, il n'y aurait pas de crise de l'éducation.

L'enfant objet



 
La science a le pouvoir aujourd'hui de mettre au monde des enfants sans passer par "l'amour" entre deux êtres et la sexualité. L'enfant, qui n'est pas le fruit de "l'amour" entre deux êtres, peut aussi bien devenir orphelin sur le plan psychologique, ou grandir comme un petit être dépendant du désir égocentrique des adultes, voire, un produit de consommation.
L'enfant ne peut pas non plus être un droit. Ce sont des états de choses, des statuts ou des objets qui sont des droits, mais certainement pas des êtres vivants et encore moins un enfant. Le droit est également lié à l'action. J'ai le droit, ou non, de faire certaines choses. J'ai même le droit, ou pas, d'agir sur quelqu'un. La légitime défense, par exemple, encadre ce droit. J'ai donc le droit de faire un objet ou un acte sur quelque chose ou quelqu'un. Lorsque l'enfant est considéré comme un objet, je me donne le droit de faire cet objet. Mais si l'enfant est considéré comme une "personne", un sujet au même titre que moi-même, suis-je en droit de le faire ? Puis-je faire un "sujet", une personne ?
Même lorsque l'enfant nait par les voies naturelles, il est souvent l'otage de ses parents. Bon nombre de gens mettent au monde un enfant pour donner un sens à leur existence qui, sans cela, leur paraitrait insupportable. Quand une existence se résume à travailler comme un esclave pour satisfaire l'avidité de quelques uns, quand l'âge commence à peser, notre vie nous parait bien vide. L'enfant est alors un objet qui vient pallier nos échecs et nos manques. Inconsciemment, l'enfant se voit confier la charge de rendre heureux ses parents et de réussir là où ils pensent avoir échoués. Notons que dans les siècles passés, surtout dans les classes laborieuses, l'enfant n'était ni un droit, ni un choix. Il ne s'agit pas de revenir en arrière, mais de comprendre qu'un enfant est une lourde responsabilité.
La PMA n'est pas un problème en soi. Au contraire, elle est une aide lorsqu'elle permet à un couple de concrétiser le fruit de leur amour mutuel et c'est une bonne chose que de les y aider. En réalité, le souci se cache dans l'état d'esprit et l'intention qui président à notre volonté de donner le jour à un enfant. Ce désir, comme tous les autres, devrait être interrogé, par delà notre idéologie du droit et passer par le tamis de la "raison".
* Pourquoi voulons-nous des enfants ?
* Avoir un enfant, est-ce une fin en soi ?
* Dans un monde, où la démographie devient un problème, où les ressources planétaires, telles que l'eau par exemple, commencent à manquer, nous faut-il faire des enfants à tous prix ?
* N'y a-t-il pas d'autres manières d'enfanter, comme créer une oeuvre, se rendre davantage disponible aux autres, enseigner, s'engager...?
* N'est-il pas envisageable d'accepter la stérilité et de fonder notre existence sur d'autres valeurs que celle qui consiste à se reproduire ?
* Ne peut-on pas envisager d'adopter d'abord les enfants qui sont sans parents, plutôt que d'en vouloir exclusivement de sa propre chair ?
Selon les témoignages, l'adoption d'un enfant est un véritable parcours du combattant. La durée de la procédure, les évaluations sociales, psychologiques, les conditions d'accueil sur le plan familial, éducatif et autres...sont autant de critères susceptibles de devenir des obstacles. Par contre, il n'est rien demandé à ces mères qui décident de se servir d'un homme, comme d'un étalon, pour mettre au monde un enfant et l'élever seule. Quelle est donc cette société où nous voulons des enfants, comme nous disposerions d'un bien, alors que bon nombre de petits humains sont laissés à l'abandon sur notre planète ?

Il y a deux questions essentielles, au moins, que nous devrions tous nous poser, car nous sommes généralement perdus dans nos sentiments :
* sommes-nous attachés à nos enfants ou les aimons-nous vraiment ?
* Si nous aimons véritablement nos enfants, pourquoi leurs laissons-nous un monde d'esclavage, de violence, où l'environnement, lui-même devient invivable ?
Si nous les aimons vraiment, engageons-nous beaucoup plus dans l'organisation de notre société, afin de leur léguer un monde suffisamment décent pour être vivable, plutôt que de nous enfermer dans un cocooning familial, dans un consumérisme débridé, ou bien devant nos écrans et nos réalités virtuelles.

Le "marché" du désir d'enfant
 

 
Le désir d'enfant est devenu un "marché" porteur et nombre de cliniques privées commencent à se frotter les mains devant ce qu'il pourrait rapporter, si les états assouplissaient leurs règles. Pour donner un exemple, Cryos, la plus grande banque de sperme, nous promet sur son site (1) de réaliser nos rêves en mettant en vente l'enfant sur catalogue. Bon nombre de gens fantasment sur la réussite économique et sociale, sur l'idée de rouler dans une superbe voiture, de trouver son prince ou sa princesse, d'avoir une belle maison et de beaux enfants. Des rêves qui ne vont pas bien loin et qui ne sont que des fantasmes conditionnés. Si l'enfant se réduit à une chimère consumériste, alors pourquoi ne pas désirer un objet de qualité. Avoir des enfants beaux, forts et intelligents, n'est-ce pas, au fond, le désir du plus grand nombre ? Si la science et le "marché" peuvent nous aider à le réaliser, pourquoi ne pas mettre toutes les chances de son côté et sélectionner les meilleurs gènes ? Après tout, on sélectionne bien le caractère génétique des animaux domestiques pour optimiser leur reproduction ? Pourquoi pas celui des mâles humains, pour obtenir le meilleur rendement ?
C'est prendre un énorme risque sur l'avenir, et nous verrons pourquoi plus loin, que de vouloir alléger les lois qui encadrent la PMA. Et d'ailleurs, qui doit décider ? Pourquoi interroger des comités d'éthique, dont le choix des membres est laissé à l'appréciation des seules instances dirigeantes ? Pourquoi ne pas interroger les citoyennes et les citoyens  par réferendum ? Comme toujours, plutôt que de laisser le choix au peuple et lui permettre de penser par lui-même, on lui inflige des "spécialistes" pour réfléchir et décider à sa place. Il en est toujours ainsi lorsqu'il s'agit des grands enjeux pour notre société.
Si le désir d'enfant est un "marché"(2), l'intention du gouvernement est-elle de le libéraliser ? Existe-il une industrie qui alimente ce "marché" et fait-elle du lobbying ? Si c'est le cas, quand on sait à quel point les politiques sont sensibles aux lobbies, alors il faut s'inquiéter. On nous annonce déjà, que dans le cadre institutionnel, la France ne dispose pas assez de gamètes, pour satisfaire en temps ordinaire tous les couples en difficulté. Etendre la PMA aux femmes seules, c'est faire exploser la demande. Devant cette pénurie de gamètes, ces femmes se tourneront, à coup sûr, vers le privé, qui n'attend que ce signal pour se frotter les mains.
Y a-til urgence à légiférer ? Sommes-nous dans une situatuion analogue à l'avortement, avant la "loi Veil", où de nombreuses femmes perdaient leur vie ou restaient mutilées, en tentant de faire passer l'embryon ? Pourquoi ne pas laisser le débat public se développer, entendre les spécialistes, débattre sur le sujet avec toutes les parties et permettre ainsi aux citoyens et citoyennes de se décider sereinement par réferendum ?

Vers une fabrique totalitaire de l'enfant


Tout cela va bien trop vite et il y a quelque chose de plus sombre encore, qui risque de se développer de manière souterraine et très insidieuse. Cet aspect le plus sombre est évidement masqué par les idéologies totalitaires qui tapissent le fond de certains partis politiques ou structures conservatrices. Ces derniers préfèrent nous égarer dans de faux problèmes, tels que l'homosexualité. C'est justement, parce qu'elles sont totalitaires, que ces organisations sont incapables de penser les dangers du totalitarisme liés à la PMA.
La PMA est surtout, à long terme, un enjeu de pouvoir politique. J'en veux pour preuve un précédent dans l'histoire, celui des "Lebensborn", les couveuses nazies inventées par Heinrich Himmler pour cultiver la race aryenne. Ce n'est pas si loin et je ne pense pas que cela soit derrière nous. Le serpent ne fait que changer de peau. Nous ne l'avons pas vaincu.
Le pouvoir qu'a la science de séparer la reproduction de "l'amour" entre deux êtres et de faire fi de la sexualité est un réel danger. L'adoption par le parlement, d'étendre la PMA aux femmes seules, pourrait être une première étape. Il suffirait que les progrès de la science et de la technologie soient en mesure de créer des utérus artificiels, pour que la reproduction humaine échappe au contrôle des citoyennes et des citoyens. Qui déciderait des naissances : l'Etat, la super multinationale ? 
En ce qui concerne les organisations totalitaires, la reproduction, l'éducation et la formation des enfants sont des enjeux considérables. L'histoire nous a démontré que le libéralisme économique peut s'allier aux pires dictatures. La fabuleuse ascension des partis d'extrême droite, dans la première moitié du 20ème siècle, a été largement favorisée par la finance et l'industrie et pas seulement allemande. Il s'agissait de stopper la progression des idées communistes en Europe. La prochaine dictature prend les allures d'un gigantesque complexe financier, industriel et politique mondial. Les politicien(ne)s ne font plus que gérer les situations et les populations dans le cadre déjà fixé par les super multinationales et le "marché". La progression de l'extrême droite dans l'Union européenne, aux Etats Unis, au Brésil (3), en Israël (4)..., ainsi que la montée en puissance des dictatures, comme en Chine ou en Russie, font basculer la gouvernance mondiale dans des logiques extrémistes et liberticides. Nous savons que le discours anti mondialiste et anti financiste de l'extrême droite est de la poudre aux yeux. Mussolini et Hitler le proféraient aussi, ce qui ne les a pas empêché de trahir rapidement ce même discours pour bénéficier des largesses des financiers. Tout ce beau linge finit toujours par atterrir dans la même corbeille.
Il nous faut ajouter à cela les problèmes, sans précédents, liés à la crise écologique qui menacent l'avenir de l'humanité. L'indifférence des populations et l'irresponsabilité des gouvernements face à ces enjeux, pourraient bien obliger l'humanité à prendre, en dernier ressort et pour des raisons de survie, des mesures qui ne manqueront pas d'être arbitraires. La prochaine dictature risque bien d'être à la fois financière, industrielle, d'extrême droite et écologiste. Ce sera la totale ! Ses moyens de repression seront redoutables, à la pointe des sciences et de la technologie. Sachons déjà que notre cerveau est étudié (neurosciences) pour mieux le contrôler, que les données que nous laissons sur les réseaux de communication, servent à créer des algorithmes, puis des fichiers pour mieux nous surveiller et anticiper nos actes. N'oublions pas les caméras. Souriez, vous êtes filmés, tracés et localisés. Hitler en aurait rêvé. Dans de telles conditions, soyons sûrs que les problèmes démographiques et l'épuisement des ressources naturelles ne seront pas traités par l'amélioration des conditions sociales et l'éducation. Ces problèmes seront réglés par la sélection et l'élimination de celles et ceux qui ne correspondront plus aux normes économiques et sociales du système. Puisque la science et la technologie permettront de fabriquer de l'enfant humain, sans passer par la copulation sexuelle, ce système pratiquera l'eugénisme. Il sélectionnera l'humain à la naissance et le produira selon les nécessités du "marché", les ressources naturelles, les normes et les critères de docilité de la dictature politique.
Comme on le voit, tous les feux sont au vert et le risque de faire émerger une dictature planétaire se précise.
Le progrès n'est pas le progressisme aveugle et il serait peut être temps de faire une pose, afin de réévaluer la société que nous sommes en train de construire. Est-il bien indiqué, actuellement, d'alléger les règles en matière de Procréation assistée ? Le cadre politique et économique actuel, potentiellement totalitaire, fondé sur l'égoïsme et l'avidité (5), n'est certainement pas favorable à une utilisation raisonnée des sciences et des technologies. La société sans père aujourd'hui, sera également sans mère demain.
Il serait utile de relire les grandes oeuvres d'anticipation, comme celle d'Aldous Huxley "Le meilleur des mondes".
Consultons nos vieux sages : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme." Rabelais (6)

Bruno Magret

1) https://dk-fr.cryosinternational.com/
2) Ce lien me semble des plus intéressants, même s'il concerne la GPA, qu'il nous faut distinguer de la PMA. Ce qui importe ici, c'est l'état d'esprit de ce "marché" juteux : https://mère-porteuse-centre.fr/.Voici la phrase qui a retenu mon attention dans la rubrique "information" (Avantagesde Feskov Human Reproduction Group" : "IVF homme parfait-création d'un enfant sain et génétiquement parfait à partir de votre sperme et votre oeuf".
3) Le soutien des financiers à Bolsonaro, récemment élu au Brésil, ainsi que son programme ulta libéral, nous démontrent que l'ADN de l'hyper capitalisme est bien totalitaire.
4) Le Point international : "Israël s'ancre à l'extrême droite",
https:/www.lepoint.fr/monde/israel-s-ancre-a-l-extreme-droite-26-05-2016-2042324_24.php
5)
l'idélogie néo libérale nomme cela la liberté, comme si les individus esclaves de leurs pulsions étaient des êtres libres.

6)
François Rabelais : "Pantagruel"

bruno - 19:43 - rubrique > Mes réflexions sur des sujets d'actualité - Version imprimable - Permalien - 0 commentaires

Vendredi 11 Septembre 2015

Touche pas au grisbi !!!

Une histoire de dette


L'avis d'un citoyen lambda


La Grèce a contracté une dette d'argent à l'égard de ses partenaires européens. Ces derniers temps, ce pays semble avoir été mis au pilori par ses créanciers. Selon le récit de Yanis Varoufakis, ex ministre des finances du gouvernement grec : "Leur seul objectif était de nous humilier.". L'Europe ultra libérale a-t-elle voulu mettre à genoux Syriza, le parti de la gauche radicale grecque actuellement en charge du gouvernement à Athènes ?
N'étant prisonnier d'aucune idéologie politique, ce n'est donc pas sur ce terrain que j'envisage, ici, de donner mon point de vue.
Il est vrai que je ne suis qu'un citoyen lambda avec ses lacunes tant économiques que politiques. Mais par contre, sans être pour autant un spécialiste dans ces matières, dans un pays démocratique chaque citoyen(ne) est pourtant appelé(e) à se prononcer sur la manière dont il veut être gouverné. De l'antique démocratie directe athénienne, où le tirage au sort décidait des citoyens qui devaient accéder aux responsabilités, il nous reste les jurés populaires de la Cour d'Assises. Tirés également au sort, et n'étant pas nécessairement des spécialistes du Droit, les jurés peuvent en dernier ressort prendre appui sur leur "intime conviction".
Cette "intime conviction", est une intuition qui n'est pas très éloignée de ce que Descartes appelait la "nature simple". C'est à travers cette "simplicité" de l'intelligence que se révèle "l'évidence claire et distincte" du "bon sens" cartésien, que l'on ne confondra pas ici avec le sens commun. Si nous sommes égaux devant la mort, nous le sommes également dans la "simplicité" de l'intelligence naturelle. La pensée, d'où découle la culture occidentale moderne, recommande de nous inspirer de cette "lumière naturelle" issue de notre propre entendement universel, dont Kant nous invitait à nous servir courageusement pour échapper aux nombreuses tutelles qui nous asservissent. Rappelons-le, Cette "lumière naturelle" est dès la philosophie grecque, en passant par l'Humanisme, au fondement du Grand Siècle des Lumières, puis de nos valeurs démocratiques et républicaines actuelles depuis la Révolution française.
C'est au titre de ce "bon sens" que je revendique le droit de donner mon avis, sans être catégorisé et enfermé dans la vision étroite des partis pris idéologiques et de l'échiquier politique.
Mon avis s'appuiera également sur ma sensibilité humaniste et sur la tradition philosophique de mes racines, puisque cette affaire concerne la Grèce, l'un des berceaux de la pensée occidentale moderne.

Le mépris de nos racines



Nos hommes et nos femmes politiques européens ne se lassent de pas brandir l'étendard des valeurs démocratiques et des Droits de l'homme, face aux idéologies totalitaires, aux dictatures et aux dictateurs qui sont, au nom de cet idéal, assignés devant les tribunaux internationaux. Mais ces hommes et ces femmes politiques semblent oublier que ces valeurs leur sont inspirées par l'héritage que nous a laissé la démocratie athénienne. A l'occasion de ce que l'on a appelé la crise grecque, l'Europe nous a montré un visage intraitable, voire vindicatif et sans compassion, très éloigné de ces valeurs.
Il n'était guère question à ce moment là des Droits de l'homme et du citoyen, mais plutôt d'un scénario dans le style d'un film très connu : "Touche pas au grisbi".
Ceux qui en sont encore à se questionner sur la filiation culturelle de l'Europe, qu'elle soit judéo-chrétienne, gréco-romaine, religieuse ou laïque n'ont pas compris dans quel état de conscience sont les européens, puisque l'esprit qui anime l'Europe d'aujourd'hui repose sur l'étroitesse d'une conception déracinée, purement économiste et financière du "Marché". Les temps sont à la réduction de l'homme, à la petitesse où priment les dettes d'argent sur celles de l'honneur et de l'éthique.
Car au fond, qu'est-ce que la dette financière grecque à côté de l'héritage que la Grèce nous a transmis ? Pourrions-nous nous pavaner aux yeux des autres Etats, en prétendant incarner le monde libre sans cet héritage ? Que seraient nos valeurs telles que la liberté, l'égalité, la fraternité, la laïcité, les Droits de l'homme...sans ce don que la Grèce a fait à l'Europe ? Que seraient nos sciences et nos arts sans ce berceau où reposait l'enfance de l'Europe, dont le nom même est emprunté à la mythologie grecque ?
Mais voilà qu'à présent, les fils et les filles de cette nourricière se retournent contre leur mère, exigeant le remboursement d'une misérable dette d'argent, sous peine d'être exclue de la famille européenne. Notre monde va-t-il si mal ?
Je suis d'ailleurs très étonné de ne pas entendre sur le sujet nos philosophes patentés et médiatisés alors que certains d'entre eux se font pourtant les défenseurs de causes lointaines. Les philosophes académiques sont souvent très ethnocentriques. Ils prétendent que la Grèce antique, par je ne sais quel miracle grec, aurait inventé à elle toute seule la philosophie. Ils font de l'occident le lieu où aurait été inventé l'amour de la sagesse (philosophia en grec), mais les voici incapables de se casquer, telle Athênâ, pour partir en guerre contre la manière dont la Grèce est aujourd'hui traitée par l'Europe. Pourquoi ce silence devant le traitement infligé à leur mère patrie ?

Le temps où l'Europe et la Grèce ont été généreuses avec l'Allemagne




Les européens ont eu pourtant plus d'égard envers l'Allemagne qui, enfantant d'un monstre, a mis l'Europe à feu et à sang sous le régime nazi. Les accords de Londres avaient permis en 1953 à la République Fédérale d'Allemagne d'annuler plus de 60% de la dette qu'elle avait contractée avant et après la seconde guerre mondiale.
Ne l'oublions pas, la Grèce était alors l'un des 21 créanciers de l'Allemagne. Mais l'argent primait déjà sur tout le reste. Il fallait protéger le miracle économique de la nouvelle Allemagne, d'autant que les Etats-Unis souhaitaient que la RFA soit un rempart contre le bloc soviétique. Les créanciers autorisèrent même la suspension des paiements de la pauvre endettée en cas de mauvaise conjecture.
En 1941, un montant de 476 millions de Reichsmarks (la monnaie allemande de l'époque) avait été directement extorqué à la Grèce par l'Allemagne nazie. En 1946, l'Allemagne avait donc été condamnée à payer 7 milliards de dollars à la Grèce. Cette dette, qui n'est toujours pas remboursée, n'était pourtant pas couverte par les accords de Londres de 1953. Lors de la réunification des deux Allemagnes, la Grèce avait généreusement accepté de tirer un trait sur cette dette qui, aujourd'hui, lui rendrait bien service (1).
Pourquoi donc, au regard de ce passé où la Grèce a su, elle, être généreuse, ne pas mutualiser sa dette sur le plan européen ? Pourquoi ne pas renvoyer l'ascenseur ? Nous savons que le coût de cette mutualisation ne représenterait pas grand chose dans le budget européen.
En conséquence, Reste la peur de devoir prendre en charge, maintenant et à l'avenir, les dettes des autres pays européens en difficulté économique. Par exemple, Faudrait-il à présent faire ce cadeau à l'Espagne, à l'Italie ou au Portugal ? Cette peur a été l'une des raisons de la dureté de l'Europe envers la Grèce. Mais on ne peut pas au regard de l'histoire mettre tous les pays européens sur le même plan. C'est oublier que l'Allemagne a une dette envers la Grèce qui a été victime du nazisme. L'Espagne et l'Italie ne risquaient pas de figurer parmi les créanciers de l'Allemagne, puisque les nazis ont été leurs alliés. Quant au Portugal, c'était un pays neutre pendant la seconde guerre mondiale.

La construction artificielle de l'Europe



Et quand bien même ! Certes, à l'avenir, l'Europe serait tenue de mutualiser les créances de chacun de ses membres en cas de difficultés économiques graves. Nous voilà dans un problème causé par les valeurs qui sont au fondement de la construction européenne. Voilà les européens en face de leurs propres contradictions. Si l'Europe est une véritable Nation, doit-elle laisser un de ses membres au bord de la route ? Le temps n'est-il pas venu de fonder une Europe politiquement, économiquement et socialement unie, plutôt qu'une grande foire économique et financière seulement ? A nous d'être vigilants sur le plan politique, économique et social, afin de ne pas laisser entrer n'importe qui dans l'Union européenne. Aveuglés par les profits futurs du "Grand marché" européen, il est vrai que nous n'avons guère été patients dans cette construction de l'Europe. Parfois même, au mépris des peuples, qui à l'occasion de referendums soit-disant démocratiques, s'étaient déclarés majoritairement hostiles à certaines étapes de cette construction. Il est vrai, également, que nous n'avons guère été vigilants jusque là, concernant les capacités économiques et la volonté de respecter les droits humains les plus élémentaires des pays postulants.
Nous avons même entendu dire, que la mystérieuse et opaque banque d'investissement internationale Goldman Sachs aurait aidé la Grèce, en 2001-2002, à maquiller ses comptes pour aider Athènes à rester dans l'Euro (2). Arte, la chaîne de télévision la plus intelligente du paysage audiovisuel français (ce n'est pas difficile), avait produit, il y a quelques temps, un documentaire fort saisissant sur l'emprise de Goldman Sachs en Europe (3)

Etranges ces européens qui ne veulent que partager les bénéfices de cette Grande Europe du Commerce, mais pas les risques. Il ne fallait pas construire l'Europe par le commerce et le petit bout de la lorgnette, mais être patient et la fonder de manière véritablement humaine. L'Europe est aujourd'hui une tour de Babel et le colosse aux pieds d'argile menace de s'écrouler à chaque crise et éternuement politique.

Une Allemagne et une Europe solidaires

Si l'Europe veut survivre, il lui faudra se refonder sur des bases humanistes et solidaires. C'est la solidarité et le partage, et non l'égoïsme des intérêts individuels, qui rendent les hommes forts. C'est tout le contraire de l'illogisme ultra libéral qui tente, à coup de propagande médiatique, de nous faire passer des vessies pour des lanternes. L'égoïsme est un cancer qui divise et détruit le corps social. Et le corps social de l'Europe n'est, quant à lui, même pas encore constitué...Il est d'ailleurs fort possible que l'Europe ne soit très prochainement qu'un enfant mort-né.
Ce visage intraitable de l'Europe vis à vis de la Grèce fut, semble-t-il, principalement porté par l'Allemagne. La Chancelière Angela Merkel se serait montrée très dure vis-à-vis des grecs.



S'il nous faut parler de dettes, il en est qui sont impossibles à rembourser. Il est des crimes dont le pardon même dépasse le cadre purement humain, tout en étant un impensable sur lequel la "raison" et les plus grands penseurs viennent se briser.
Il ne suffit pas, au nom de la réconciliation des peuples d'Europe, qu'un Président français (François Mitterrand) et un Chancelier allemand (Helmut Kohl) se tiennent par la main au cours d'une belle cérémonie à Douaumont, le 22 septembre 1984, pour annuler deux guerres mondiales et une dette liée au plus grand crime contre l'humanité jamais commis. L'inconscient collectif européen n'avance pas à la même vitesse que les calculs politiques et économiques.
Nous sommes encore loin des sept générations, selon la métaphore biblique, pour que l'horreur d'Auschwitz soit digérée par les européens. Chaque enfant qui naît à présent dans cette Europe doit découvrir et admettre un génocide encore impossible à porter dans l'Histoire. Comment expliquer à nos enfants, au-delà des seuls aspects historiques et sociologiques, les raisons profondes qui ont conduit à une telle horreur, pour leur permettre de dépasser ce traumatisme ?
Si comme on le dit, l'Allemagne est à la tête de cette Europe impitoyable vis-à-vis du peuple grec, il serait temps qu'elle fasse un premier pas dans la réparation des dommages qu'elle a causés dans son histoire.
Des hordes germaniques, qui ont plongé une partie de l'Europe sous la tutelle des dictatures aristocratiques renversées par la Révolution française, en passant par le Saint-Empire Romain Germanique, jusqu'au troisième Reich, on ne peut pas dire que l'Allemagne ait été dans son histoire un modèle de démocratie.
Il n'y a pas de germanophobie dans mes propos, pour la simple raison que je suis moi-même citoyen d'un pays au passé colonial, dont l'Etat a nettement collaboré avec les nazis et leurs horreurs.
Par ailleurs, par souci d'objectivité, il est à noté que ces derniers temps, l'Allemagne a donné le ton pour aider les réfugiés. Même si en arrière plan, des besoins démographiques et de main-d'oeuvre ont poussé nos voisins et amis à une telle générosité. Il ne faut pas croire non plus, indépendamment de la dictature des bons sentiments et des émotions, que le débat sur la nécessité d'étendre à l'ensemble des pays européens une telle générosité, est loin d'être clos. Le danger, en agissant dans l'urgence et l'émotion, est de faire vaciller l'opinion européenne dans l'extrême droite. L'enfer est souvent pavé de bonnes intentions. Quoiqu'il en soit, accordons à l'Allemagne de louables intentions.

Mais concernant la dette grecque, l'Histoire donne ici l'occasion à ce grand pays qu'est l'Allemagne, d'être le modèle d'une Europe démocratique et réellement humaniste, et pas seulement d'être le premier moteur économique de l'Union Européenne.
La dette grecque serait pour l'Allemagne l'occasion de montrer au monde qu'un grand pays économiquement fort, peut être aussi solidaire. Jusqu'à présent, les autres semblent avoir échoué.

Bruno Magret



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(1) Voir sur le sujet les articles suivants de Mathilde Golla du Figaro et de Le Vif.be, l'Express :
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/01/27/20002-20150127ARTIFIG00150-quand-la-grece-acceptait-d-efface-la-dette-allemande.php
http://www.levif.be/actualite/international/I-allemagne-renvoyee-a-son-passe-sur-la-question-de-la-dette-grecque/article-normal-405047.html

(2) Voir sur le sujet l'article du point :
http://www.lepoint.fr/economie/le-gouvernement-grec-pourrait-poursuivre-goldman-sachs-12-07-2015-1943854_28.php
(3) Voir ce documentaire qui a été diffusé sur Arté :
"Goldman Sachs, la banque qui dirige le monde" de Jérome Fritel et marc Roche.

bruno - 16:21 - rubrique > Mes réflexions sur des sujets d'actualité - Version imprimable - Permalien - 0 commentaires

Mardi 03 Septembre 2013

Faut-il enseigner la morale à l'école ?

 Faut-il enseigner la morale à l'école ? 

Les boucs émissaires de notre immoralité
 
 Il est régulièrement question dans la société française, d'enseigner la morale civique et laïque au sein du système scolaire. Sujet récurrent et, pour emprunter un terme journalistique, véritable "marronnier" en politique. De toute façon, le mal est effectivement profond et le délitement de nos valeurs républicaines inquiétant.
Il est vrai que les jeunes, cible de cette volonté de réforme, posent de plus en plus de problèmes au sein de l'institution scolaire et les enseignants ont toujours plus de mal à enseigner face aux actes d'incivilité qui se multiplient. Certes, ce sont là des faits, cependant celle ou celui, qui n'a pas l'habitude d'exercer sa réflexion, suit le courant le plus facile, celui des préjugés consistant à désigner les quartiers, dits "sensibles" et les jeunes français issus de l'immigration comme responsables de ce délitement moral. Cette vue bien trop courte, concerne le phénomène bien connu du bouc émissaire, permettant de refouler notre responsabilité et les véritables causes du délitement de notre société devenue, elle-même, immorale.

S'il est vrai d'affirmer que certains jeunes, provenant des couches les plus populaires, sont difficiles, la violence qu'ils exercent est sans doute la plus voyante et la plus évidente ( Qu'y a-t-il de plus violent que les règlements de compte à Marseille ou ailleurs, par exemple ? Qu'y a-t-il de plus choquant que les braquages avec des armes de guerre qui prolifèrent dans les quartiers ?) Certains jeunes sont irrespectueux, d'autres trafiquent et quand la situation explose ils brûlent des voitures, parfois même leurs lieux de culture, caillassent les pompiers et tout ce qui représente l'autorité républicaine,..., mais il est tout aussi vrai que ces jeunes ont subi, pendant longtemps et au quotidien, des violences psychologiques qu'ils endurent de la part d'une société qui les a trop longtemps ignorés. Ils adoptent alors un mode de pensée souvent régressif, ou bien se replient dans des valeurs identitaires anachroniques ; en bref, ils sont perdus et continuellement au bord de la révolte.

La situation semble dramatique et certains maires n'hésitent même plus à demander l'intervention de l'armée.


Le comportement immoral de la société à l'égard d'une jeunesse sacrifiée

Cette violence, les jeunes des quartiers la subissent, tout d'abord, de la part de certains médias. Ces chasseurs de scoops, ces faiseurs d'audimat n'hésitent pas à grossir le trait en étendant et généralisant cette situation à toute la jeunesse des quartiers, alors que la plupart de ces jeunes sont plutôt pacifiques et tentent courageusement de se battre pour s'en sortir. En agissant ainsi, ces médias contribuent à organiser une sorte de ségrégation territoriale.
Si certains jeunes sont violents, c'est bien souvent contre eux-mêmes, puisqu'ils détruisent leur propre lieu de vie et les institutions qui leur sont nécessaires. Est-ce une forme de suicide collectif ? Je suis toujours étonné par notre absence de réaction à l'égard de ce désespoir. Ce comportement auto destructeur témoigne d'une existence difficilement supportable parce que sans avenir. Et nous savons combien un être humain, privé d'avenir, peut se détruire s'il ne trouve aucun sens à son existence. Il n'est pas étonnant que certains d'entre eux choisissent des systèmes religieux radicaux. Sommes-nous encore capables de compassion à l'égard de cette souffrance insoutenable ?
Nous savons que l'économie parallèle permet à bien des familles de subsister, dans un environnement qui avoisine parfois 40 % de chômage. Si la vente de cannabis était libéralisée, les quartiers exploseraient, du fait que la suppression de ce commerce illégal amputerait leurs seules sources de revenu. C'est sans doute, à mon avis, l'une des raisons de la prohibition de ce produit.
Ces jeunes se trouvent face à d'énormes difficultés sans précédent. Difficultés qu'ils cumulent : ségrégation territoriale, chômage, crise du logement, racisme, sans compter les malheurs de leur génération à savoir, le SIDA, les crises économiques et écologiques... Ils voient bien souvent leurs soeurs, leurs frères et leurs proches bardés de diplômes et finir désoeuvrés dans la cité, faute de travail, victimes d'une société qui ne veut pas les intégrer. Difficile dans ces conditions d'avoir encore confiance dans l'école républicaine. Ils savent à quel point leurs grands-parents ont été exploités dans les industries françaises et bien avant, leurs arrière-grands-parents sur le sol même de leur pays d'origine au cours de la colonisation. Inutile de se poser la question quant aux raisons de leur rejet des métiers du secteur primaire. L'inconscient collectif existe et il doit peser lourd dans leur attitude.
Même si la France n'est pas un pays raciste, il n'en demeure pas moins que ces jeunes subissent des logiques raciales bien souvent inavouées, comme l'interdiction des boites de nuit, les délits de faciès lors des contrôles de police, le rejet de leur CV à cause du patronyme ou de leur lieu d'habitation. Il n'est que d'observer autour de soi. Voit-on beaucoup de serveurs noirs dans les métiers de la restauration ou dans les cafés ? Les images publicitaires offrent-elles une réelle différence ethnique ? Et qu'en est-il du monde politique ? Certes, quelques petits efforts ont été faits de la part des partis politiques. Mais était-ce par souci d'équité ou par pure communication ? Et si amélioration il y a, elle nous paraît bien balbutiante. Les crises économiques successives, les économies de main-d'oeuvre et de coût de production pour satisfaire la logique compétitive du "marché", n'en finit plus de fragiliser l'avenir de ces jeunes. Sont-ils condamnés à rester enfermés dans leurs quartiers, mis au ban de la société. Vont-ils pouvoir quitter leurs parents, être autonomes, avoir suffisamment de pouvoir économique pour fonder une famille et finalement s'intégrer dans la société française, ou  bien sont-ils d'ores et déjà une génération sacrifiée ? Va-t-on construire des murs autour des quartiers, pour rassurer le brave citoyen ?
S'il existe une véritable volonté politique d'arranger les choses, la solution envisagée doit être globale. Il ne s'agit pas seulement, comme on le voit parfois dans la presse, d'exhiber les quelques exemples de réussites individuelles.
Le pire est sans doute la frustration que ces jeunes subissent continuellement de la part d'une société consumériste qui, par le biais du matraquage publicitaire, met à portée de main tant de produits de consommation, qu'ils ne peuvent pas s'offrir. Imaginez-vous tendant la main pour prendre ce que l'on vous promet et recevoir un coup de bâton sur les doigts, parce que vous voulez acquérir ce que l'on vous a tant vanté.
Au fond, à qui doit-on faire la morale, à cette jeunesse en déshérence ou à l'organisation de nos sociétés, de plus en plus impitoyable ?

Un malaise global

Ce n'est pas cette jeunesse particulière, qu'il faut désigner comme responsable de nos problèmes d'incivilité. Il faudrait plutôt tenter de comprendre la jeunesse en général, d'où qu'elle vienne, et chercher les causes de ce manque de civilité, toujours croissant, dans l'éducation que les adultes transmettent aux nouvelles générations. Après tout, nos enfants ne sont-ils pas, bien souvent, le reflet de notre  propre comportement ? Il n'est pas difficile d'ouvrir les yeux et de nous rendre compte, que l'incivilité touche notre société dans son ensemble. Il nous faut bien reconnaître que nous devenons de plus en plus incapables de vivre ensemble.
Bien sûr, certains diront que les problèmes d'incivilité de la part de la jeunesse ont toujours existé. Effectivement, les penseurs grecs de l'Antiquité, par exemple, témoignaient aussi de cette situation à leur époque. Sauf qu'à l'aube du XXI ème siècle, la situation tend à se mondialiser. L'histoire devrait plutôt nous faire réfléchir sur des symptômes qui ont toujours été le signe d'un délitement social des civilisations, amorçant leur propre déclin.
Notre société est en train de rendre malheureuse sa propre jeunesse. Le mythe grec de Chronos, qui dévore ses propres enfants, symbolise assez bien cette situation. Ce n'est pas un hasard si les fonds de pension font partie des plus grands investisseurs du capitalisme actuel. L'avidité des plus anciens sacrifie à leur pouvoir l'avenir des plus jeunes. Il nous faut donc, en tant qu'adulte, nous questionner davantage, à commencer par celles ou ceux qui sont censés incarner nos valeurs républicaines et démocratiques.
Ces valeurs, issues de la révolution française, inscrites au fronton de nos mairies à travers le triptyque "Liberté, Egalité, Fraternité", sont des "principes" universels auxquels aspire l'Humanité toute entière. Ce rêve, cette "vision" d'une Humanité "Une" et "indivisible", sortant des ténèbres de l'inconscience d'elle-même, de sa propre mutilation à travers les guerres, l'exploitation de l'homme par l'homme et autres blessures qu'elle s'inflige, doit être impérativement transmis à nos enfants. Car, il n'y a rien de pire en pédagogie qu'un discours qui n'est pas appliqué, par ceux-là mêmes qui le professent.
L'exemplarité devrait être au centre de l'éducation. Ces valeurs sont-elles appliquées dans la société française ? Relisons les articles 23, 25 et 26 de la "Déclaration Universelle des Droits de l'homme", adoptée en 1948 par l'Assemblée Générale des Nations Unies à Paris, qui fait la fierté de l'homme occidental. Ne nous obligent-ils pas à fournir à toutes et à tous la possibilité de travailler pour satisfaire les besoins d'une vie digne, à donner à chacun et à chacune un logement décent et une éducation gratuite de qualité ? Existe-il dans notre société cette solidarité, et non pas la charité qui entretient la misère, indispensable pour vivre dans une sécurité économique et sociale nécessaire au sentiment de liberté ? 
Nous avons, apparemment, la possibilité de nous exprimer librement, mais cette liberté d'expression ne peut être pleine et entière que lorsque les moyens médiatiques sont au service du peuple et non dans les mains d'une minorité privilégiée. Notre société se dirige-t-elle dans ce sens là ?
L'égalité en droit existe-t-elle réellement ? Lorsque les plus puissants pratiquent l'abus de biens publics, mettant en jeu des sommes exorbitantes, la loi est-elle la même pour eux, que pour les autres, les sans grade ?... Et même si ce membre influent de la société finit par aller en prison, partage-t-il la promiscuité d'une cellule exiguë avec d'autres détenus, ou purge-t-il sa peine dans un quartier VIP ? Sans égalité devant la loi, les deux autres concepts du triptyque républicain, la liberté et la fraternité, s'effondrent.
Appliquons les valeurs républicaines dans la société, avant de moraliser les jeunes !
Avons-nous foi dans nos valeurs humanistes et modernes, ou bien ne sont-elles qu'un voeu pieu, voire de l'hypocrisie ?  
Respectons-nous et appliquons-nous ces droits, que nous avons la prétention d'exporter partout dans le monde ?

Une déliquescence morale générale

Mais au fond, sommes-nous, nous-mêmes, véritablement éduqués pour donner aux autres des impératifs
moraux ? L'éducation, c'est, tout d'abord, apprendre à développer ses facultés relationnelles. Notre société actuelle nous apprend-elle à vivre ensemble et à devenir pleinement humains ? L'organisation sociale de notre société ne tend-t-elle pas à se fondre sur l'obsession du profit, sur la compétition impitoyable de tous contre tous pour satisfaire les exigences d'un marché économique mondial qui nous est imposé comme une réalité incontournable, comme un moloch auquel nous devrions sacrifier nos propres enfants ?
Je défends l'idée du peuple, mais je ne suis pas populiste. Il est trop facile d'accuser les politiques et les agents économiques de la société, alors que le peuple lui-même s'avachit dans l'irresponsabilité du troupeau.
Ceux qui nous gouvernent sont à l'image de ce que nous sommes et ne reflètent finalement que nos désirs inavoués. Alors que nous possédons dans les mains une puissance démocratique que nos ancêtres n'osaient même pas espérer, nous nous laissons abrutir par une propagande consumériste qui sait faire appel à nos pulsions infantiles. La puissance démocratique que nous possédons, ne passe pas seulement par le parlement et le suffrage universel, mais par notre consommation. Si nous avions un tant soit peu de moralité, si nous étions intelligents et sobres, nous ne consommerions pas n'importe quoi. Nous pourrions boycotter les entreprises qui ne respectent pas la vie, l'environnement et l'humanité. Personne ne peut nous contraindre à consommer et cette toute nouvelle puissance démocratique, qui passe par notre consommation, mettrait le capitalisme au pas si nous le décidions, car nous sommes le véritable pouvoir.
Lorsque nous plaçons notre seule foi dans l'accumulation des biens de consommation, sommes-nous de bons exemples pour nos enfants ? Etant enseignant, j'ai l'occasion d'observer mes élèves et de voir cheminer leur pensée. La plupart d'entre eux considèrent que l'argent est la toute première valeur. Qui donc leur transmet ces valeurs ? Quels sont les modèles que nous donnons à nos enfants ? Certains décideurs publics, qui ne sont au service que de leurs ambitions personnelles, dans le mépris le plus absolu de l'intérêt général, sont-ils de bons exemples ? Les multinationales qui, grâce à des cabinets d'optimisation fiscale ayant pignon sur rue, évitent de payer leurs impôts dans les pays où elles produisent et vendent les biens de consommation, sont-elles des modèles moraux de référence ? Ces privilégiés qui, plutôt que de s'acquitter de leurs impôts, placent leur argent dans des paradis fiscaux, alors qu'ils pourraient soulager une grande partie de la dette économique de leur pays, sont-ils des exemples de citoyens ? Qui donc respecte nos valeurs républicaines ? Sur quels modèles nos enfants se structurent-ils, sur ceux des joueurs de football qui gagnent des sommes qui dépassent l'imagination, alors que nos chercheurs, mal payés, quittent la France et que des gens ne peuvent pas se loger, même en travaillant ?
D'ailleurs, les français sont-ils vraiment attachés aux valeurs démocratiques et républicaines ? Le repli identitaire toujours croissant vers l'extrême droite semble prouver le contraire. En réalité, peut être que nous ne sommes pas prêts à assumer l'humanisme, le courage, la responsabilité et la pratique d'une véritable citoyenneté. Peut-être préférons-nous rester dans le "troupeau", aux ordres d'un chef, qui prétend avec démagogie nous sécuriser. Il est quand même étonnant de constater que les programmes électoraux sont souvent centrés sur la sécurité. Si nous sommes nous-mêmes mal élevés, comment éduquerons-nous nos propres enfants ?
Devant une telle déliquescence morale générale, quelle autorité peut avoir un enseignant, représentant de la République, pour donner des cours de morale à une classe de jeunes désabusés par les contre-exemples qui leur sont offerts. Peut-être que sur le plan psychanalytique, il faudrait emprunter à l'école de Palo Alto le concept de "double entrave" pour qualifier le message contradictoire que nous voulons transmettre à notre jeunesse : "la société est immorale, soyez moraux !". La société est-elle cette mauvaise mère qui fait tout pour rendre fous ses propres enfants ?
D'ailleurs, il faudrait saluer le courage des enseignants. Ils font tout leur possible pour faire surgir chez leurs élèves, un petit bourgeon de science et de réflexion susceptible de s'abstraire de toute cette boue d'immédiateté matérialiste, imposée par une propagande consumériste et une véritable ingénierie de l'information, dont le but est de conditionner nos enfants dans une sous culture qui annule le travail de ces pédagogues.

L'éducation virtuelle

Aujourd'hui, les enseignants ne se contentent plus d'instruire leurs élèves, ils se transforment en éducateurs et la société tente de leur faire porter tout le poids du manque d'éducation qui s'est généralisé. Ils doivent de plus en plus pallier le vide laissé par des parents qui démissionnent parce que leurs enfants sont devenus ingérables. Ces parents sont souvent débordés par leurs activités professionnelles de plus en plus exigeantes, qui les empêchent d'exercer leur devoir éducatif.
La pression qui se fait toujours plus croissante de la part des magasins pour travailler le dimanche, est l'exemple même d'une société qui s'enfonce dans ses propres contradictions. D'un côté, nous nous plaignons de l'absence d'éducation donnée aux enfants et de l'autre, sous le prétexte fallacieux de la consommation, nous sommes prêts à sacrifier au monde du travail le seul jour de la semaine où toute la famille se trouve réunie.
La compétition, inhérente au "marché" se répercute par une pression de l'entreprise de plus en plus insoutenable sur les salariés. Ajouté à cela, les heures passées dans des transports en commun de plus en plus déficients, on a du mal à comprendre comment des parents épuisés peuvent encore trouver du temps pour dialoguer avec leurs enfants. Il suffit de mettre son enfant devant la télé pour avoir la paix. D'ailleurs, dans certains pays, on voit déjà apparaître des chaînes de télévision pour bébé.
Devant ce vide éducatif, Internet, les réseaux sociaux, les jeux virtuels et les écrans prennent le relais de l'éducation et les enfants y sont souvent livrés à eux-mêmes. Cette éducation virtuelle se substituent à celle qui passe par le sensible et la proximité. Nous sommes en train de développer un système de formation virtuel collectif, assez préoccupant et potentiellement liberticide.
Qui donc éduque nos enfants ? Un système de plus en plus totalitaire digne de "Big Brother" ?
Et pourtant, l'usage de la télévision et des nouvelles technologies de l'information pourrait être un plus dans l'éducation des enfants, mais le manque d'encadrement laisse les enfants aux prises avec des contenus informatifs de plus en plus douteux, voire, dangereux pour leur croissance psychologique. Il est quand même curieux que très peu de gens dénoncent ce phénomène. Les programmes de télévision deviennent stupides, infantiles et font appel à ce qu'il y a de plus malsain en l'homme, alors qu'il faudrait faire appel à ce qu'il y a de plus noble en lui. Sur certaines chaînes, tout est fait pour abrutir le téléspectateur et le transformer en consommateur décérébré. Certains responsables de chaînes, eux-mêmes, ne s'en cachent plus. Il y a quelques années, le responsable de TFI, Patrick Le Lay, reconnaissait vendre du temps de cerveau disponible pour les fabricants de produits de consommation. Il suffit de décrypter le contenu des publicités, pour comprendre le type de valeurs qu'elles véhiculent. Ici et là, on fait par exemple appel à l'égocentrisme individuel : "L'Oréal, parce que je le vaux bien !". Autrement dit : "Le merveilleux monde de la consommation n'a été créé que pour moi !". Pas mal pour une société qui veut inculquer à nos enfants le "vivre ensemble" républicain ! Il y a quelques temps, une publicité pour une marque de voiture, faisait passer le message suivant : "Si tu as la voiture, tu as la femme !". Le sexisme de la publicité actuelle pour la marque Lancia Ypsilon est plus subtil : "...elle plait aux femmes et captive, tous les hommes !". Nous avons beau jeu de faire la morale aux autres sur la condition féminine, mais notre manière d'envisager les femmes comme des objets à acquérir, ou bien comme des créatures superficielles, intéressées par la réussite sociale de l'homme, n'est guère plus émancipatrice !
Les contenus informatifs, les plus horribles et les plus dangereux pour l'équilibre des enfants, circulent bien sûr sur le web. Nous savons que les enfants ont toujours un  temps d'avance sur les adultes dans la manipulation des nouveaux outils d'information. Autant dire que la possibilité technique du contrôle parental est une plaisanterie, surtout quand les moyens d'accès au web sont aujourd'hui démultipliés.
Les échanges sur les réseaux sociaux ne se fondent pas non plus sur une intelligence débordante, mais sur la volonté narcissique de faire du "buzz", c'est à dire du bruit autour de soi. Les jeux virtuels, dont certains sont d'une violence extrême, deviennent une véritable addiction. Il n'est plus rare de voir des élèves "mutiler" leur scolarité et finalement leur vie, pour satisfaire cette frénésie du jeu.
Heureusement, nous avons certains spécialistes de la cognition qui nous rassurent en affirmant, que ces jeux sont bons pour le développement cognitif de nos enfants...
Les jeux d'argent, comme le poker, qui se multiplient sur le web, laissent croire à nos enfants que l'argent est facile à gagner. S'il suffit de se pencher pour ramasser de l'argent, pourquoi se fatiguer à l'école ? C'est d'ailleurs un argument qui est tenu par mes élèves. 
L'utilisation du téléphone portable, tant chez les jeunes que chez les moins jeunes, révèle une véritable névrose ; c'est une prothèse, une extension du corps dont certains ne peuvent plus se passer, ne serait-ce une minute. Cette névrose révèle un vide profond, une béance qu'il faut à tout prix combler, dans une société où l'isolement psychologique et le manque de marques d'affection et de relations bienveillantes, est toujours plus criants. Si vous interdisez aux élèves l'utilisation du téléphone portable en cours, ils ressortiront mécaniquement leur appareil au bout de cinq minutes. Pourquoi une telle dépendance ? Que fait-on à nos enfants ?
L'intériorité et l'intimité des individus disparaissent au profit d'une injonction à être en permanence connecté aux autres sur le réseau. L'obsession rationaliste et le positivisme, fourrant dans le même sac la subjectivité individuelle et l'irrationalisme, nous pousse à travers la techno-science vers le totalitarisme de l'objectivité et de la transparence, qui ne laisse rien présager de bon pour l'avenir. En communiquant sur des réseaux préétablis et non plus spontanés, nous prenons le risque d'être surveillés en permanence. Le scandale de l'affaire Snowden et la surveillance que les Etats Unis appliquent au monde entier, ont révélé le danger. Ce pouvoir fondé sur l'hyper surveillance est une aubaine pour les futurs dictateurs, si cette dictature n'est pas déjà là...Pour des peuples qui revendiquent la liberté individuelle et l'inscrivent au fronton de leurs institutions, il faut admettre que nous soulevons là une sacrée contradiction.
Ces nouvelles technologies de l'information, nous mettant en un instant en communication avec la planète humaine, pourraient constituer un progrès considérable vers une humanité universelle. Aucune dictature ne pourrait résister à l'oeil permanent de l'opinion mondiale. Mais comme le disait Rabelais, science sans conscience étant ruine de l'âme, les humains utilisent ces technologies dans le sens de la facilité et du repli sur soi. Plutôt que de rencontrer l'autre, ils préfèrent mener une existence virtuelle sur le réseau, où tout est permis à travers les masques, révélant ainsi une peur grandissante de l'altérité. Ils ne dialoguent même plus sur les réseaux, ils s'insultent, appellent au meurtre et agissent lâchement, se croyant protégés par un écran des autres. Il suffit de prendre les transports en commun, pour constater, que les gens ne se regardent plus, préférant se réfugier dans leurs instruments magiques du dernier cri technologique, pour ne pas avoir à croiser le regard de ceux qui leur sont étrangers. Si le racisme tend, bon gré, mal gré, à disparaître du fait du métissage des populations, la xénophobie, au sens de la peur de l'autre, a de bons jours devant elle. Mais on se donne le change, en se faisant croire que l'on a beaucoup "d'amis" sur "Face Book". On peut même se créer en un clic une personnalité VIP instantanée, mais au bout du compte on est toujours plus seul, car en réalité l'isolement devient la norme. Certes, l'utilisation des réseaux sociaux à des aspects positifs, notamment lorsqu'il s'agit de mobiliser la vigilance citoyenne, mais hélas, on communique avec le monde entier et pourtant la solitude, la dépression et le suicide explosent.
Pourquoi ne donne-t-on pas des cours de morale à tous ces marchands de bonheur virtuel, à ces fabricants de drogues permanentes qui tuent dans l'oeuf l'esprit de nos enfants ? Ce conditionnement et cet abrutissement permanent sont peut-être le crime le plus odieux que l'on puisse commettre. On peut préférer la mort physique à l'esclavage mental, à la perte de sa liberté individuelle et celle de sa dignité. Existe-t-il pire crime que de tuer "l'esprit" de l'homme ? Mais là encore, les apôtres du "marché" nous diront que la libéralité économique, qui n'est au fond qu'un laisser aller, se fonde sur la liberté du vendeur et de l'acheteur et feront appel à la responsabilité du consommateur. Mais comment les enfants peuvent-ils se défendre contre toute cette ingénierie de déstructuration et de conditionnement, à l'âge où l'on n'est pas encore capable de liberté et de responsabilité ?
L'éducation est le coeur même de la société. Ne sommes-nous pas en train de détruire toute forme d'éducation naturelle (communauté, parents, société) au profit d'une éducation virtuelle prise en charge par un système inhumain, n'ayant qu'une ambition : formater les enfants ?
Mais avant de nous aventurer plus loin sur l'enseignement de la morale à l'école, il nous faut, tout d'abord, réfléchir ses fondements, pour en comprendre les enjeux et la méthode pédagogique à adopter.

Essai sur les fondements de la morale

I entre idéalisme et empirisme

Dans l'histoire de la pensée et dans l'esprit des hommes les lois morales a priori ont toujours été opposées à celles qui sont établies de manière a posteriori. Le débat fait actuellement rage, notamment dans les débats sur la bioéthique, entre la pensée continentale et anglo-saxonne. La pensée continentale, héritière de Platon, de Descartes ou encore de Kant, entre autres, est plutôt tournée vers une éthique idéale, a priori, qui s'appuie sur une instance universelle permanente, affranchie de la contingence du temps et de l'espace. Même si certains penseurs ont reproché l'enracinement religieux de cette pensée, il n'en demeure pas moins qu'elle garantit des principes inviolables. Spéculer sur ces principes, c'est prendre le risque de les relativiser et finalement ne plus garantir leur inviolabilité. Prenons l'exemple des principes universels des droits de l'homme qui sont issus de la pensée continentale. Que se passerait-il si nous les questionnions en permanence ? Après tout :
* y a-t-il vraiment une humanité une et indivisible ?
* faut-il accorder une même humanité aux peuples africains, asiatiques, sémites et européens ?
Ou encore :
* les hommes ont-ils d'emblée des droits par le seul fait d'être humains ? 
* ces droits ne sont-ils vraiment accordés naturellement ?
Le simple fait de questionner ces principes inviolables suffit à les remettre en cause. C'est cela le révisionnisme et nous avons vu les dégâts d'un tel questionnement sur la mémoire, quant à l'existence des chambres à gaz, utilisées par les nazis. La révisionnisme entraîne inévitablement le négationnisme.
Finalement, si nous livrons les principes moraux les plus fondamentaux à la spéculation, nous livrons du même coup l'être humain et toute la nature à l'exploitation la plus effroyable, démultipliée par le progrès scientifique. Nous voyons bien le danger qu'il peut y avoir à spéculer sur des principes que nous considérons comme inviolables. C'est la raison pour laquelle Kant situait les principes moraux universels hors de la raison spéculative, pour les garantir dans le champ de la raison pratique, à travers l'impératif catégorique qui ne peut plus se raisonner.
A l'inverse, la pensée anglo-saxonne, héritière de l'empirisme, à travers Locke, Condillac ou encore J.Stuart Mill, entre autres, a des arguments qu'il ne faut pas négliger. L'empirisme et ses avatars, utilitarisme et pragmatisme, rejettent à la base et de manières plus ou moins fortes selon les penseurs, les principes a priori de la raison sur laquelle se fonde la morale. Selon ce type de pensée, il n'y a pas d'instance métaphysique ou idéale qui commande les règles morales et celles du raisonnement tout court. Toute connaissance est tirée des sens et c'est par l'expérience que l'homme établit, de manière a posteriori, ce qui est bon ou mauvais pour lui. Nous comprenons bien les dangers d'une morale a priori et d'une raison humaine érigée en instance universelle, qui diffuserait dans les esprits les règles de conduite. Cette morale, qui se suffirait à elle-même, serait totalitaire. Elle serait incapable de s'actualiser et de s'adapter aux changements provoqués par l'évolution. Le résultat serait une accumulation dans la société de règles absurdes, qui ne correspondraient plus à la réalité des moeurs suscitée par les progrès de la connaissance. Ces règles absurdes, nous les voyons fonctionner dans l'extrémisme religieux, les lourdeurs administratives et juridiques et plus généralement dans le conservatisme. Ces règles garantissent surtout les privilèges issus de la soif irrationnelle du pouvoir.
Qu'elles soient empiristes ou, pour faire court, idéales, il est difficile de trancher comme Alexandre le noeud gordien, qui attache ces deux visions apparemment contradictoires des fondements de la morale. La seule possibilité est, peut-être, d'accepter le noeud tel qu'il est et faire de ces deux extrémités une seule et même corde.

II Le retournement contre les instincts et la perte de la raison

L'humanité s'est fourvoyée en essayant de s'abstraire à tout prix de la dimension sauvage et naturelle de ses capacités de réflexion. Loin de remettre en question les dogmes religieux qui refoulèrent, sous le sceau du diable, le corps, le désir et les instincts dans le royaume de la Bête et de l'inconscience, le rationalisme occidental accentua ce dualisme. Désormais, la conscience rationnelle se devait de domestiquer le corps et les instincts, qu'elle assimila à des réflexes mécaniques et aveugles. Domestiquer la nature en soi, était faire oeuvre de civilisation. Sur le plan pédagogique, l'enfant était considéré comme un petit animal qui devait être dressé et rationalisé, en refoulant ses tendances les plus sauvages. Le mythe de l'enfant sauvage en pleine période positiviste en est un exemple. En fait, ce mythe est idiot, car un enfant élevé sans les hommes, n'est ni sauvage, ni naturel. L'homme faisant partie des animaux sociaux, un enfant ne peut se développer naturellement sans les autres membres de son espèce, tout comme une fourmi ne peut survivre sans la fourmilière. Cette situation serait justement contre nature. Nous ne sommes pas très attentifs à l'hyper moralisme du rationalisme contemporain, qui nourrit les sciences et la techno-science, même si nous commençons à sentir le poids de la morale biologique et de l'hygiénisme. La morale républicaine et laïque est également infestée par ce moralisme, qu'il nous faudra sagement discriminer avant de l'enseigner. 
Nietzsche fut l'éclair aveuglant qui dénonça ce retournement contre nos propres instincts et révéla cette puissance de vie refoulée. Mais le philosophe était trop entier, jusqu'à la folie. Il jeta le bébé avec l'eau du bain et rejeta la "raison" au lieu de la réinterroger. L'idéal nietzschéen a fortement influencé la philosophie continentale et notamment des penseurs comme Georges Bataille ou Gilles Deleuze, par exemple. Ce retour à la seule puissance des instincts et le soupçon (voir les philosophes du soupçon) porté sur la dimension métaphysique de la "raison", réduite à un phantasme idéaliste, voire bourgeois pour les penseurs marxistes, entraîna l'explosion de la force brutale et aveugle qui caractérisa les régimes autoritaires du 20ème siècle. Toutefois, ce retour à la puissance de vie n'eut pas d'effet sur le plan global et la négation des instincts prévalue. Par contre, le doute porté sur la raison s'accentua et fut amplifié par les deux guerres mondiales successives en Europe, la Shoa et l'utilisation de la bombe nucléaire. La rationalité fut réduite à sa plus simple expression dans les sciences et la techno-science, afin de n'en conserver que son seul aspect calculateur. Les autres interprétations du concept de "raison", telles que le "fond" ou la "source" de tout être et de toute chose, celle du Verbe ou de la Parole créatrice ou encore celle du juste milieu ou de la juste mesure qui engageait l'homme vers un comportement équilibré, disparurent de l'esprit humain livré à sa folie. Séparée de sa dimension transcendante, métaphysique et instinctive, la "raison" ne pouvait survivre. La prophétie de Nietzsche n'annonçait pas seulement la mort de "Dieu", mais également celui de la "raison" dans l'histoire, à tel point, qu'il nous faudrait aujourd'hui une résurrection de la Raison et un nouveau siècle des Lumières.
En conséquence, la morale républicaine, s'appuyant sur l'aspect métaphysique de la "raison", sous les auspices de "l'Etre Universel" affirmé par la Révolution française, est aujourd'hui une coquille vide. La morale républicaine n'est pas encore vraiment laïque et impartiale. La croyance athée, qui est aussi sectaire que les religions, y est encore très développée.
De plus dans notre monde capitaliste, les hommes préfèrent toujours le veau d'or du "marché" et du consumérisme, aux valeurs d'une Humanité universelle.
L'esprit de l'époque ne peut donc plus adhérer aux valeurs d'une Raison fondée sur "l'Etre Universel", puisque tout est livré au seul calcul mathématique et marchand.
Quant aux religions, si elles furent dépositaires en leur temps des principes moraux fondés sur la Raison Universelle ou la Sofia Perennis, elles participent aujourd'hui, à travers l'intransigeance de leurs dogmes et leur extrémisme, à la crucifixion du Verbe ou de la Raison.
La morale républicaine a-t-elle encore une profondeur et une solidité ?

III Instinct et intelligence

On ne peut séparer l'humanité de l'animalité et la "raison" humaine des instincts humains. En opérant une telle rupture entre ses deux dimensions, l'humanité a perdu sa sensibilité et s'est enfermée dans un système artificiel contre nature. "Qui fait l'ange, fait la bête" disait Pascal. Il nous faut reconsidérer la représentation que nous nous faisons des instincts et les différencier du réflexe automatique. Les réflexes automatiques existent à tous les niveaux, y compris sur le plan du néo cortex cérébral, dit supérieur. Les préjugés intellectuels sont bien des réflexes automatiques et l'espèce humaine en développe bien plus que les autres. Le réflexe automatique est un principe biologique qui veut que, lorsqu'une espèce ou un individu trouve un équilibre satisfaisant, il l'enregistre pour le reproduire. Dans le meilleur des cas, cet automatisme permet aux êtres vivants d'aller au plus court et de libérer leur énergie pour autre chose. Cette attitude entraîne une habitude. Dans le pire des cas, il s'agit d'une routine qui ne permet plus aux êtres vivants d'être alertes et de s'adapter... Chez l'homme la paresse intellectuelle est fondée sur cette routine qui finit par le rendre stupide. Ces réflexes sont des automatismes sur le plan biologique, des pulsions sur le plan psychique et des préjugés sur le plan intellectuel. Ces réflexes ne sont pas le propre des instincts. Ces derniers n'étant pas séparés de "l'intelligence créative", sont susceptibles de créativité et nous permettent de nous adapter aux nouvelles conditions suscitées par le milieu.

C'est l'instinct humain qui a poussé l'humanité à se développer cérébralement, comme l'instinct a poussé les autres espèces à développer leurs facultés spécifiques. Il est vrai que de tous les instincts dans la nature, le plus opérant est celui qui a poussé l'homme vers la maîtrise qu'il possède aujourd'hui. Cependant, cette maîtrise ne doit pas nous amener à scier la branche sur laquelle nous sommes assis, en nous retournant contre l'instinct qui nous a permis un tel développement, au nom d'une pseudo intelligence de l'esprit séparé du corps. Sans l'instinct qui s'exprime dans l'intellect, l'humanité n'aurait pas existé.
L'intelligence n'est donc pas séparée des instincts, elle est d'ailleurs au coeur même du vivant comme l'était le Logos pour les philosophes grecs. Il est d'ailleurs inutile de s'enfermer dans les notions de transcendance ou d'immanence, car l'intelligence est à la fois transcendante par rapport à notre égo et immanente à la vie même. Bien que je ne sois pas d'accord avec Bergson sur sa conception de l'intelligence et des instincts, il ne séparait toutefois pas ces deux dimensions. Pour lui, il y avait de l'intelligence dans l'instinct et de l'instinct dans l'intelligence. Selon moi, l'intelligence ne peut pas se mesurer et ne peut être réduite aux seules capacités intellectuelles ou facultés de raisonnement. Scientifiquement, nous sommes encore très loin d'en comprendre les fondements. Il ne s'agit pas non plus de réduire l'intelligence chez l'homme, à l'intelligence réflexive qui apporte la vivacité de l'esprit ou encore la capacité à synthétiser. L'intelligence réflexive est perfectible. Elle se pervertie, notamment en se mettant au service de l'individualité séparée par l'égoïsme de sa dimension universelle. A court terme, cette intelligence pervertie peut nous rendre malins, surtout à travers le cynisme et la transgression des règles qui nous unissent à l'universel. L'utilisation du pouvoir use le pouvoir, tout en isolant celui qui en abuse. A long terme, personne n'est intelligent tout seul et l'intelligence se détruit par manque de créativité et de sagesse.
La plus haute intelligence est la "sagesse". Toutes les formes d'intelligence s'enracinent en "elle".
L'intelligence n'est donc pas seulement réflexive ou a posteriori ; elle est aussi pré réflexive ou a priori et créatrice. L'intelligence créatrice agit, à travers l'instinct, dans l'entendement et l'intellect par l'intuition, voire la prémonition ou autres facultés encore méconnues. L'intelligence créatrice est également puissance de vie. C'est le "souffle" qui correspond au Logos pneumatikos dans la tradition de la Grèce antique.
Créer, c'est mettre en ordre le chaos. Ainsi pour la philosophie antique, le Logos transformait le chaos en cosmos. Cette création qui s'effectuait à travers l'intelligence créative du Logos, possédait en elle-même, d'une part, les "principes", nécessaires à l'ordre cosmologique, sur lesquels s'appuyaient les lois physiques universelles et, d'autre part les "Archétypes", nécessaires à l'ordre cosmogonique, sur lesquels se réglaient les structures psychiques.
On peut bien sûr contester cette vision métaphysique traditionnelle au nom du modernisme, de la pensée matérialiste, du positivisme et du scientisme. Mais à l'aube du 21 ème siècle, il arrive que les sciences modernes interrogent et retrouvent certaines conceptions traditionnelles. La pensée matérialiste est déjà dépassée. L'ère de la physique quantique tend à dématérialiser le monde, tout en propulsant l'esprit humain par delà le seul principe de causalité, régissant les phénomènes à l'intérieur du temps et de l'espace. En physique quantique, la matière est la fois particulaire et ondulatoire, matérielle et immatérielle. La matière et l'esprit seraient-ils les deux faces d'une même pièce, comme le Purusha et la Prakriti de la philosophie hindouiste ? Nous savons à présent que nous ne percevons que 5 % de l'univers, le reste étant constitué de matière et d'énergie noire imperceptibles selon nos sens. L'homme est en train de re spiritualiser l'univers. Certains scientifiques n'hésitent plus à parler de dessein intelligent concernant les constantes fondamentales, extrêmement subtiles, qui règlent les tout premiers instants de l'univers. Sur le plan des découvertes psychologiques, n'oublions pas non plus Carl Gustav Jung qui découvrit, de manière clinique, les Archétypes qui fondent l'inconscient collectif. Malraux avait-il raison ? Le 21ème siècle sera-t-il spirituel ?
Si le rationalisme disparaît par la réfutation d'une raison universelle, abstraite du corps et suspendue dans les nuages d'une métaphysique idéaliste, l'antique conception de la "sagesse" pourrait bien réapparaître  au coeur de la matière et de nos instincts les plus profonds. Les instincts ne sont pas seulement les vecteurs de la puissance de vie, comme le pensait Nietzsche. Ils expriment également, à travers l'intuition intellectuelle et l'imaginaire, une intelligence créative qui dépasse toutes nos connaissances et devant laquelle nous devons accepter notre ignorance, pour être inspirés. Nous retrouvons ici le "daïmon" socratique, ce "génie", qui selon Socrate habite en chacun de nous, à condition d'accepter de l'accoucher.

IV Une morale instinctive et intuitive

Les principes moraux ne viennent donc pas, comme des règles générales de conduites imposées de l'extérieur par un pouvoir totalitaire ou par une religion dogmatique. Ils sont déjà potentiellement dans notre entendement, à travers l'intelligence de notre propre "bon sens". Il suffit de les éveiller chez l'enfant pour lui permettre de les actualiser, en fonction de son époque et des circonstances dans lesquelles il se trouve.
L'enfant sait instinctivement ce qui est juste ou pas. Comme le pensait Descartes, il le sait par l'intermédiaire des "Idées innées", ou des "natures simples". Ces "natures simples forment le "bon sens", qui comme la mort qui touche tout le monde, fonde une égalité d'esprit fondamentale à laquelle sont ramenés les érudits et les simples, les adultes et les enfants. Le "je sais que je ne sais pas" socratique nous rend égaux aux tout petits, car si il y a bien une chose que partageons avec eux, c'est notre ignorance de la réalité ultime de la vie. Le reste n'est que littérature ! A l'inverse, cette affirmation peut se retourner en "je sais que je sais" à travers ces "natures simples" que nous partageons avec les plus simples. Nicolas de Cues, en écrivant "La Sagesse de l'idiot", avait bien compris cette intelligence de la simplicité et la vanité d'une certaine forme d'érudition. 
Mais à la différence des cartésiens, ces Idées innées, ou ces "natures simples" ne sont pas dans un sujet qui s'abstrait du corps de l'univers. Elles sont dans le corps de celui-ci. Il n'y a pas de séparation entre le corps et l'esprit. La séparation par une individualité égotique du corps de l'humanité, de la nature et de l'univers est une illusion. Nous ne sommes pas séparés, comme peuvent nous le faire croire la sensation illusoire du "moi", donnée par les sens ou le mental. Nous sommes un même corps, celui de la "vie" elle même. La connaissance n'est pas seulement intellectuelle, elle aussi charnelle. Ce n'est pas un hasard, si nous parlons de "corps social". A travers l'idée de "principes", d'"Idées innées, ou de "natures simples", nous retrouvons là le Corps de la Loi évoqué par le Bouddhisme. Cette conception du corps universel n'est donc pas nouvelle. Nous la retrouvons dans les plus anciennes traditions, mais également chez Gordano Bruno, qui voyait dans l'univers le Grand Animal, ou encore chez Spinoza dans l'idée de la "Substance" universelle.
Il est logique que les "principes" et les "archétypes" s'expriment à travers les instincts et l'intuition, si l'esprit et le corps ne sont pas séparés.

V Ethique et réflexion empirique

L'enfant sait donc naturellement et simplement, par l'intermédiaire, des "natures simples" ce qu'est la morale, mais il ne la reconnaît pas encore comme telle. N'ayant pas encore développé toute son intelligence réflexive. L'enfant ne peut pas encore revenir et réfléchir sur ses actes et ceux des autres. La morale collective s'impose aux enfants, afin de les protéger, lorsqu'ils n'ont pas encore développé leur propre réflexion pour en comprendre toute la nécessité.
La morale s'impose également à un peuple qui n'a pas encore acquis l'autonomie d'une réflexion démocratique digne de ce nom. Les peuples, qui ont acquis cette autonomie, ne sont d'ailleurs pas nécessairement ceux que l'on croit. C'est une chose de se dire en démocratie, mais c'en est une autre d'être vraiment démocrate.
L'exigence morale des lois naturelles et des règles de vie commune sont seulement inscrites potentiellement dans l'entendement de l'enfant. Il va devoir, tout au long de son développement, et même de sa vie entière, amener à la conscience la nécessité des règles indispensables à sa survie et à celles de son espèce. Cette morale, qui n'est pour lui qu'intuitive et générale, il devra l'adapter à la particularité de sa propre existence et aux circonstances de son époque. Il lui faudra clairement différencier les règles coutumières, susceptibles d'être modifiées, voire supprimées, de celles qui, dans leur universalité, restent invariables quelles que soient les époques et les cultures. Une fois acquise la faculté de penser par lui-même, cet enfant devenu adulte, sera, grâce à son sens critique, capable de séparer le bon grain de l'ivraie. Il sera en mesure de discriminer dans la morale qui lui aura été transmise, ce qui relève du pur moralisme et ce qui relève des règles vitales et universelles. C'est cette maturité qui lui permettra de passer du champ de la morale, qui se présente de manière générale, à celui de l'éthique découlant des règles qu'il aura adaptées à sa propre singularité. 
Lorsqu'un individu est capable de penser et de se gouverner par lui-même, il peut, de par sa souveraineté individuelle, s'approprier les règles communes qui lui semblent justes et combattre celles qui paraissent aller contre l'humanité et l'harmonie universelle. Nous pouvons, dès lors, parler d'éthique ou de déontologie quand les règles concernent un groupe professionnel ou une communauté particulière. Le développement des facultés du raisonnement et d'anticipation sont indispensables dans la constitution d'une éthique individuelle. Etant soumis sur terre au principe de causalité, l'individu doit être en mesure de déduire rationnellement les conséquences de ses actes sur les plans individuels, collectifs et environnementaux, sans avoir à en vivre les expériences. Mais, il doit également être en mesure d'induire du champ de l'expérience les règles générales du comportement. Ce travail empirique permet de contrebalancer l'idéalisme de la morale a priori, tout en réactualisant les règles figées par le temps. Ce travail empirique permet également de générer les règles nouvelles, qui n'ont pas été prévues par la morale collective, à cause de l'évolution des moeurs, des sciences et des techniques.
Comme nous l'avons vu précédemment, il n'est pas nécessaire de trancher le noeud gordien entre l'idéalisme et l'empirisme, puisque ces deux démarches sont nécessaires à la réflexion sur la morale. Nous nous devons de réfléchir et d'expérimenter, s'il y a lieu, les règles que nous recevons par l'intermédiaire de la culture, dussent-elles être universelles. Certes, il y a des lois qui ne peuvent être livrées à la spéculation, surtout lorsqu'elles concernent le respect des droits de l'homme, la liberté de conscience, des autres espèces, de l'environnement naturel et autres principes fondamentaux concernant le respect de la vie en général. Mais il s'agit de les adapter, malgré tout, à chaque cas particulier sans y renoncer sur le plan général et universel, même pour raison d'Etat. A chaque fois que de tels principes sont mis en balance pour raison d'Etat ou par celle du plus grand nombre, il importe de se questionner sur la véritable nature de cet Etat et sur la logique qui prévaut chez le plus grand nombre. Le dialogue en matière de morale sera toujours nécessaire et il ne faut pas confondre cette attitude avec la spéculation qui ne peut provenir que des esprits pervers.
Si le dialogue est nécessaire, il l'est à plus forte raison dans l'enseignement de la morale que nous souhaitons transmettre à nos enfants.

Eveiller l'être moral en soi et non pas l'enseigner 

Faut-il enseigner la morale à l'école ? Il est préférable de la transmettre et non pas l'enseigner. On enseigne un savoir, qu'il faut mémoriser. La morale n'est pas une question de mémoire, mais d'ouverture d'esprit et de vécu. L'élève doit découvrir par lui-même la nécessité d'une morale, avec laquelle il sera en accord, pour vivre en société. Le développement de la conscience de soi ne s'impose pas, mais se vit à travers le dialogue et la relation aux autres. Lorsque la morale est enseignée par le seul apprentissage de principes a priori qu'il faut retenir, elle ne fait que renforcer la conscience du moi et l'égocentrisme qui y est associé. En retour, soit l'élève rejettera cette morale en découvrant que "les conseilleurs ne sont pas les payeurs", soit Ils deviendra hypocrite en faisant le contraire de ce qu'il affiche, ou alors, moraliste en refoulant des désirs qui le rendront névrotique. En découvrant, par lui-même, la nécessité de la morale dans un dialogue avec les autres, l'élève découvre les relations d'interdépendance qui le relient à son espèce et à la nature. Sa réflexion et sa compréhension étant sollicitées, il développe la conscience de soi qui englobe, à la fois, sa propre individualité ainsi que celle de l'humanité et des autres espèces. La conscience morale s'appuie sur des principes a priori reflétant dans l'esprit les lois qui fondent les relations universelles physiques et psychiques. Mais ces principes sont liés à l'intelligence potentielle que l'enfant possède en lui-même de manière naturelle et innée. Ces principes ne peuvent advenir à la conscience de l'enfant, que lorsque son intelligence a été correctement éveillée. Ce travail pédagogique ne peut que s'opposer au dressage par le biais de principes extérieurs, qu'il faudrait apprendre et introjecter. Comme je le disais plus haut, le seul moment où la morale s'impose comme un impératif catégorique et ne se discute pas, c'est lorsque l'enfant n'est pas encore en âge de comprendre ce qu'implique les règles qui lui sont données, afin de le protéger.
Pour transmettre la morale, il serait nécessaire de consacrer dans le programme scolaire, au minimum, une séance hebdomadaire de deux heures de discussion et de débat dans chaque classe. Cette discussion peut prendre comme sujets des faits d'actualité, des interrogations propres aux élèves, des thèmes choisis sur des débats actuels et tout ce qui a trait au "vivre ensemble" et à la citoyenneté.
Doit-on rappeler que dans une démocratie, il est nécessaire de permettre aux élèves de s'exercer au débat public et aux décisions communes, mettant en jeu le destin de la société ? Doit-on rappeler que l'éducation démocratique doit être au coeur de la démocratie ? C'est à l'intérieur de cette discussion, animée par un adulte qui possède un véritable savoir-faire dans l'exercice du questionnement et de la maïeutique, que l'on peut aider l'élève à réfléchir par lui-même et ouvrir son esprit, afin de lui permettre, sans contrainte, de découvrir l'être moral en lui.
Seules les dictatures enseignent et imposent la morale aux élèves. Le moralisme est l'argument d'une société sur le déclin qui n'a plus d'autres choix, que d'enfoncer dans le crâne des enfants des codes de conduite pour maintenir l'ordre public, en fonction de l'intérêt et du pouvoir des plus privilégiés.
Toutefois, libérer deux heures hebdomadaires, pour permettre aux élèves de s'exercer à une libre expression de la pensée, n'est pas sans poser quelques problèmes dans un système scolaire où priment des programmes surchargés, qu'il faut avaler comme on gave les oies... Si les adultes font 35 heures hebdomadaires, il serait temps de se poser la question du temps de travail scolaire des enfants et des adolescents à l'école et à la maison, qui dépasse parfois celui des salariés.
De plus, la culture démocratique à l'école reste problématique à cause certains cadres qui considèrent que si nous habituons les élèves à réfléchir par eux-mêmes, à discuter la morale, qu'elle soit générale ou dans l'enceinte du collège ou du lycée, nous risquons de ne plus pouvoir gérer la discipline. Pourtant, si la situation risque d'être trouble au départ, à long terme le gain est énorme. Non seulement les élèves auront la capacité à se gérer par eux-mêmes, mais ils pourront également devenir responsables de l'ordre régnant dans les classes et dans les établissements scolaires. Lorsqu'un trublion perturbe les cours, la plupart des autres élèves sont passifs, quand ils n'encouragent pas, par leurs rires le perturbateur. Pour eux, seul l'enseignant doit avoir le pouvoir et l'autorité. Ceci les déresponsabilise. S'ils étaient encouragés à prendre en charge, au même titre que l'enseignant, la bonne tenue des cours et le respect de l'établissement, nous aurions affaire à des élèves capables de participer pleinement à l'enseignement qui leur est donné. Mais encore faut-il que les pédagogues acceptent de perdre un peu de leur pouvoir, tout en acceptant le déséquilibre des premiers moments lié à la décentralisation de l'autorité. De plus, ce type d'enseignement ne peut exister que dans une éducation fondée sur l'entraide et le bien commun et non sur la compétition, où il s'agit d'avoir les meilleures notes et plus tard les meilleurs diplômes. Mais là, certains pédagogues rétorqueront par l'argument qui tient lieu de lieu commun : "c'est de l'utopie". Il est préférable d'avoir des utopies que des illusions. Croire que le système scolaire va perdurer tel qu'il est, avec des élèves de plus en plus irresponsables et ingérables, mettant en jeu la sécurité même des enseignants, ayant pour seules valeurs, parfois, celles de l'argent, du consumérisme et de la compétition sociale, c'est effectivement ne plus avoir d'utopies, mais c'est conserver de grandes illusions.
Puisque sans utopies, nous ne sommes rien, voici la mienne !

L'école du bonheur

Au lieu de devenir un lieu d'apprentissage, de socialisation et de découverte, l'école est devenue, pour beaucoup d'élèves, un bagne qu'ils souhaitent quitter au plus vite. Il faut les voir se précipiter vers la sortie lorsque la sonnerie retentit. Certes, cette attitude a de tout temps existé, mais cela prouve seulement que l'école n'a guère évolué.
Plutôt que de fonder l'enseignement sur la mémorisation par les élèves, à travers des programmes surchargés, de données aussitôt oubliées, ne faut-il pas mieux les aider à éveiller leur intelligence, leur goût pour une culture riche et variée, susceptible de les initier à toutes les pratiques culturelles ? Plutôt que de faire du savoir un pouvoir et une pression sur l'élève, ne vaut-il pas mieux lui donner la curiosité, l'envie et le goût de la connaissance ? L'apprentissage des pratiques artistiques, sportives et manuelles ne doivent-elles pas avoir plus de place au sein des programmes scolaires, à côté du socle de connaissance habituel ? Pourquoi ne pas permettre aux élèves d'exprimer et d'élaborer à l'école leur propre culture ? La culture Hip Hop, par exemple, n'est-elle pas assez riche pour cela ? Les textes de Rap sont-ils tous mauvais ? Pourquoi les mathématiques constituent-elles la matière phare du système scolaire ? Veut-on formater les élèves pour qu'ils deviennent des techniciens, des technocrates, des gestionnaires, des affairistes et des spéculateurs ?
Finalement, en y réfléchissant bien, le système scolaire forme plus qu'il n'éduque. Quand comprendra-t-on que nous avons besoin d'êtres humains de qualité, capables de vivre les uns avec les autres, tout en respectant la nature et l'environnement avant de former des techniciens, des ingénieurs, des gestionnaires ou des économistes. Ce n'est pas le progrès scientifique ou technologique qui sauvera l'humanité. La science n'a pas vocation à faire des individus, d'authenthiques êtres humains et des citoyens responsables. Le véritable progrès ne consiste pas à envoyer des sondes dans l'univers et des humains sur Mars, mais à construire un monde habitable où l'humanité est capable d'être en paix avec elle-même et avec la "vie". Le progrès doit être social ; non pas au sens exclusivement économique ou politique, mais dans celui d'une évolution vers des relations humaines fondées sur une véritable intelligence et une profonde bienveillance.
Pourquoi n'apprendrait-on pas à l'école à danser, à chanter, à jardiner, à cuisiner, à jouer d'un instrument de musique, à sculpter, à dialoguer, à débattre...à se socialiser, à vivre tout simplement ? Certes, les choses commencent à frémir sur ce plan grâce à la future réforme des rythmes scolaires, proposée par l'actuel gouvernement, mais les activités proposées restent extra scolaires et ne changent pas fondamentalement la nature même de l'école. Elle permet, certes, aux élèves les plus pauvres, dont les familles n'ont pas le budget nécessaire, d'avoir accès aux activités extra scolaires et de ne pas traîner dans les cités. Mais encore faut-il faire attention à ne pas surcharger l'emploi du temps des élèves, par ces activités extra scolaires mal encadrées, par des animateurs et des animatrices sous payés.
Pourquoi fonder l'enseignement sur le dressage, à travers les récompenses et les punitions, comme les bons points, les belles images, les bonnes notes, les bons diplômes et la promesse d'une situation sociale élitiste, ou à l'inverse, les mauvaises notes qui détruisent le narcissisme vital de l'enfant, la menace de l'exclusion scolaire et de la mort sociale ?
Les enseignements primaires et secondaires ne doivent-ils pas permettre à l'élève de construire tranquillement sa propre humanité et de s'épanouir, plutôt que d'exercer sur lui une pression, l'obligeant à penser prématurément à sa future insertion professionnelle ? Il faut se méfier de l'idéologie qui consiste à rapprocher l'école de l'entreprise. Comment se fait-il que certains enfants se suicident à cause de cette pression ? L'école éduque-t-elle les enfants dans l'éveil et l'intelligence ? Il est vrai qu'un être humain éduqué dans des valeurs profondément humanistes, n'est pas formé à la guerre économique impitoyable de tous contre tous, faite pour satisfaire les exigences du "marché" et les poches des actionnaires. Dans toute guerre, il ya des soldats qui ne doivent pas avoir de pensée individuelle, car réfléchir c'est désobéir. Nous comprenons les réticences de certains à permettre aux élèves de penser par eux-mêmes, tout en éprouvant des sentiments pour autrui. La sensibilité est devenue une faiblesse, cédant la place à la rationalité "calculante", froide et sans vie de l'homo "economicus". Comment parler encore de morale sur de telles bases ? Que peut donner une société humaine, où l'on est exclusivement formé à occuper une place dans la vaste ruche du système, sans avoir été éveillé à sa propre intelligence ? Quels bienfaits pour la société et les entreprises ? Certes, à court terme, les individus formés de cette manière sont malléables et dociles. A long terme, c'est une catastrophe. Ces individus finissent par occuper, du fait même de leur malléabilité, des postes clé au sein de la société et des entreprises qui les emploient. Incapables de réfléchir par eux-mêmes, ils n'ont pas de créativité et sont dans l'incapacité de s'adapter. Ils laissent les idéologies, les systèmes et les machines penser pour eux. Le "bon sens" finit par disparaître dans une société qui marche sur la tête. Cependant le monde étant impermanent, jamais deux situations ne se présentent de la même manière. Nous ne sommes pas des fourmis, l'espèce humaine a fait tourner la roue de l'évolution et tout s'accélère. Il lui faut répondre très vite aux défis, qu'elle a, elle-même, suscités. Lorsque le problème survient, ces individus sont incapables de réagir. Le système s'emballe et c'est la fin. Cela ne nous rappelle rien ?
Un enfant devrait être heureux d'aller à l'école, de quitter l'univers familial pour retrouver ses copines et ses copains, découvrir toute l'étendue des "savoirs être", "savoirs faire" et connaissances humaines. Il devrait s'y sentir aimé et non contraint. L'école devrait être un espace ludique, car dans la nature, c'est par le jeu que les petits mammifères apprennent les gestes essentiels à leur survie. Le jeu en mécanique, c'est ce qui fait que deux pièces ne se frottent pas dans le même espace, évitant ainsi à la structure de casser. Le jeu veut que les individus ne soient pas formés les uns contre les autres mais, au contraire, qu'ils apprennent à vivre ensemble dans la même société. Le jeu c'est aussi ce qui permet au corps et à l'esprit de s'éveiller tout en captant toute l'intelligence nécessaire à l'épanouissement de l'individu, tout comme la plante capte l'énergie du soleil. C'est à travers le jeu que l'on apprend vite et que l'on est heureux d'être ensemble et avec soi-même. Je n'invente rien, puisque des pédagogues comme Rabelais, Rousseau, Dewey, Montessori, Korczak, Freinet et bien d'autres ont fait part de cette intuition avant moi. Ont-ils été écoutés ? Non, le système les a récupérés et marginalisés, car au fond, ce qui a toujours prévalu dans l'éducation humaine c'est un "savoir" orienté vers le pouvoir et non une connaissance tournée vers l'amour.
Le malheur n'est qu'un très mauvais terreau pour faire pousser les plus belles fleurs de la morale. Rendons nos enfants heureux. Vous verrez comment, sans leur imposer un moralisme mortifère, ils développeront toute la morale nécessaire à l'art de vivre ensemble, pour faire de cette planète l'Eden tant convoité.
L'Education doit être au coeur de la société et le Coeur de l'homme au centre de l'Education. N'est-ce pas cela la philosophie humaniste qui nous fait tant pavoiser, nous français, aux yeux du monde ? Sans éducation digne de ce nom, nos démocraties ne sont que des façades, des magasins qui promettent beaucoup, mais qui n'ont rien en réserve. L'école du bonheur ! Voilà pour moi l'enseignement de toute la morale.
Mais ceci reste un point de vue qui doit être critiqué à travers une critique constructive. Alors à vos plumes ! 

Bruno Magret
 

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