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Cafés Philos et Nouvelles Pratiques Philosophiques
Penser par soi-même

La Tradition de l'Agora et l'exclusion

Participation à l'ouvrage collectif :"Nouvelles Pratiques Philosophiques" en classe, enjeux et démarches, sous la direction de Michel Tozzi, aux Editions du CRDP de Bretagne

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La Tradition de l'Agora et l'exclusion
Bruno Magret,
animateur socioculturel et philosophe.


La tradition de l'Agora

La philosophie se nourrit de deux traditions aussi nécessaires l'Une a Vautre. Ces deux écoles sont bien souvent opposées, alors qu'elles devraient se Compléter. L'Une d'elles, que je nomme la tradition agoraïque, est obscure. Elle irrigue les philosophies, pour qui l'ordre rationaliste religieux, Cartésien Ou scientiste établi lie peut, à lui seul, combler la réflexion. C'est une philosophie libérale, qu'il convient de lie pas confondre avec le libéralisme, dans laquelle 011 Peut ranger la démarche libertaire. Contrairement aux idéologies, ici l'individu apprend à réfléchir par lui-même. Chacun est unique et doit creuser son propre sillon de réflexion. L'individualité débouche sur une subjectivité qui n'a pas à s'effacer devant un ordre objectiviste, au demeurant rassurant pont la masse. Cette école de l'ombre lie peut manquer d'apparaître en dehors des règles établies par l'idéologie qui caractérise le siècle.
Philosophie populaire, et non pas populiste, elle est confortée par des dictons qui résistent à l'épreuve du temps. La tradition agoraïque qui lie peut qu'échapper à tous les formalismes ou traditionalismes se tonde sur le «bon sens» de chacun, et lion pas sur le sens commun. Philosophie du quotidien, de la vie, elle est le propre de l'individu qui est éclairé par l'intelligence naturelle. Cette dernière est immanente, sans pour autant renoncer à la transcendance. La tradition agoraïque ne voltige pas sur les nuées intellectualistes. Elle part, au contraire, des actes et des réflexions essentielles de tous les Jours, pour escalader la montagne de soit existence par un cheminement rigoureux, jusqu'aux cimes d'un Ciel plus abstrait. Elle évite ainsi l'abstraction idéaliste, sans s'enfoncer dans un pur réalisme. Son langage est susceptible de s'adapter aux plus simples, sans pour autant sombrer dans le simplisme. C'est une attitude, un comportement, et lion pas Seulement un discours d'intellectuel brillant. C'est une voie difficile entre l'imbécillité de la méthode et son cortège de pédants, le laisser-aller, l'absence de rigueur et le défaut d'honnêteté intellectuelle.
Philosophie de la communication, cette philosophie populaire se manifeste dans les débats publics, au cœur des villes où speakers crooners#, philosophes solitaires, chercheurs de tous horizons et idéologies ambiantes se confrontent dans l'arène de la cité. De l'Agora grec, du forum romain, de la place des bourgeois de l’Hôtel de ville au Moyen Âge, des cafés de Paris, de Vienne et maintenant les cafés philos (mouvement mondial), en passant par Hide Park à Londres ou la place Beaubourg dans les années quatre-vingt, cette philosophie vit dans le ventre de la cité, si ce n'est, quelquefois, à la cour des miracles. Se pratiquant en tous temps, en tous lieux, jusqu'à la palabre africaine, nul ne sait où commence et où finit la tradition agoraïque. Elle peut, puisqu'en dehors des conventions, alimenter les pensées alternatives, renversant I'ordre moral, intellectuel et sexuel des sociétés. Elle peut entraîner l'individu qui cherche dans les profondeurs « des voies de la main gauche #» dangereuses pour l'adepte qui n'est pas guidé. Au fond, son école est celle de la vie, tout simplement.
Les défauts de la tradition agoraïque se cachent dans une libéralité qui ouvre la porte de la bergerie aux loups, aux aventuriers, aux amateurs et à la récupération opérée par la mode et le système.

La tradition universitaire

La tradition universitaire est bien sûr plus récente puisque ses premières institutions datent du Moyen Âge. Nous pouvons, à la limite, faire remonter cette tradition aux premières écoles grecques. Cependant il faut plutôt, à mon sens, envisager ces dernières sur le mode des confréries, à l'instar des pythagoriciens.
Nous sommes redevables de la tradition universitaire et nous devons beaucoup à ses chercheurs et à ses clercs qui, dans l'ombre d'une vie dévouée à la philosophie, traduisent et font l'exégèse des corpus philosophiques légués par le temps. Son importance n'est donc plus à démontrer. L’université est gardienne de la tradition, elle permet de codifier l'enseignement. Sa pédagogie est à l'évidence différente de la tradition agoraïque qui part du quotidien, elle se base sur la transmission de l'histoire de la pensée et des concepts forgés par des siècles de réflexion. Gardienne des institutions du savoir, elle est le contrepoids d’une démarche qui prétend à la spontanéité de la réflexion, mais quelquefois sans bases, et perdue dans une absence de rigueur nécessaire au cheminement.
Les défauts de la tradition universitaire sont ceux du conservatisme en général, des monopoles et de l'élitisme intellectuel prétendument dégagé du vulgaire.
Cette rigidité produit un autisme intellectuel dommageable pour l'idée que se font, généralement, les gens de la philosophie. Il y a un abîme entre être philosophe et professeur de philosophie.
Comment comprendre la pensée d'un philosophe sans avoir mis ses pas dans les siens ? Toutefois, je laisse ici le soin à d'autres de dénoncer la sclérose du système universitaire.

Nouvelles pratiques philosophiques et lien communautaire

Les nouvelles pratiques philosophiques dans lesquelles je suis engagé depuis de nombreuses années m'entraînent à organiser des débats de réflexion dans les cafés, les bibliothèques, les centres culturels, les foyers de jeunes, les théâtres, les cinémas, les entreprises et autres lieux. Bien souvent, au premier abord, la philosophie a mauvaise presse.
Pour beaucoup de gens, les cours de philosophie en terminale sont un mauvais souvenir, même s'il y en a quelques-uns, heureusement, pour qui cette période fui très riche. La première tâche à laquelle je dois m'atteler consiste à revaloriser la philosophie. Le philosophe passe pour un « masturbateur cérébral » et je dois, sans cesse, effacer les clichés d’une philosophie composée de cours didactiques ou d'un jargon incompréhensiblement abstrait. Le débat et la réflexion commune, à partir du quotidien, redonnent vie à la philosophie. Même si les supports de réflexion sont des textes, des films ou autres, il n'y a pas de maître à penser et chacun doit pouvoir faire la critique des penseurs, aussi grands soient-ils. L'impératif catégorique est ici d'apprendre à penser par soi-même. L'individu redécouvre alors une philosophie de la liberté et la joie d'une réflexion fondée sur des questions essentielles.
Le débat ravive une communication qui fait défaut dans notre société aux relations de plus en plus abstraites. D'ailleurs, le succès des cafés-philos, mais également des débats en bibliothèque ou dans les centres culturels, témoigne d'ailleurs du besoin d'une communication chamelle, sensible, qui tend à disparaître au profit des technologies de l'information, réduisant les relations humaines à la plus simple expression virtuelle. Le débat devient alors une occasion de retisser un lien social délitescent. Il m'est arrivé dans un foyer d'entendre un jeune souligner que ce genre d'échange philosophique correspondait tout à fait avec l'idée des veillées traditionnelles. En effet, il avait fait la correspondance entre le feu contenu dans le mot foyer, et la chaleur humaine de l'échange. Les jeunes générations développent les symptômes aberrants d'un individualisme conditionné. Dans les foyers de jeunes, les travailleurs sociaux se plaignent de la difficulté d'organiser des projets en commun.
Dans ces foyers, les jeune sont bien souvent à un tournant de leur existence. Ils ont quitté leurs parents pour se lancer dans la vie active. Certains font encore des études, d'autres peuvent à tout moment tomber dans la délinquance.
Cette jeunesse se retrouve dans la jungle d'un monde difficile, à la quête d'un emploi, d'une formation, tout en découvrant ses premiers émois amoureux, et ses difficultés se doublent d'une recherche de logement. Autant dire que l'angoisse est permanente. N'oublions pas que les suicides sont la première cause de mortalité en Fiance, particulièrement chez les jeunes gens.
Les problèmes que nous rencontrons tous, les uns et les autres, qu'ils soient d'ordre professionnel, affectif ou autre sont lourds à porter. Aussi, les débats permettent-ils de les évacuer, de bénéficier des différents éclairages et parfois même, de trouver des solutions.

Tradition agoraïque et pédagogie

La tradition agoraïque s'adapte tout à fait au développement des nouvelles pratiques philosophiques, auxquelles je participe, dans le secteur scolaire. La Philosophie ne doit pas être réservée aux classes de terminale. Les expériences que nous développons chez les jeunes en échec scolaire se sont révélées très positives. Il n'est, bien entendu, pas question ici de cours didactiques, et il est essentiel pour l'animateur de simplifier son langage, sans pour autant sombrer dans le simplisme. Les qualités d'animateur, capable de donner de l'âme au débat, sont nécessaires au-delà de la réflexion philosophique. La transmission de I’histoire de la pensée n'est pas exclue, au contraire, mais elle se fait par petites touches. Il faut ici réapprivoiser les élèves difficiles et leur redonner le goût de la culture.
Selon mes expériences, j'ai pu constater un manque de communication entre professeurs et élèves. Les enfants ne sont pas faits pour ingurgiter exclusivement un programme, mais pour apprendre à réfléchir sur eux-mêmes et par eux-mêmes. J'ai rencontré des professeurs qui avaient des a priori négatifs sur les possibilités de leurs élèves dans le domaine de la réflexion. Ayant assisté aux débats, ils en ont été pour leurs frais. Il est certainement très dur de constater que parfois les élèves les plus turbulents sont les plus profonds. Les révoltés ne sont pas nécessairement des imbéciles. Combien de potentialités sont-elles gâchées par cette absence de communication en milieu scolaire ?
La tradition agoraïque utilise la méthode socratique. Dans ce sens, la philosophie n'est pas une matière, comme le sont les mathématiques ou l'anglais par exemple. Selon son étymologie, la philosophie signifie « amour de la sagesse. » C'est une quête, un art de vivre, de réfléchir et également une praxis. Dans Protagoras, Platon explique clairement la position de Socrate en matière de pédagogie. Selon lui, la sagesse ne peut s'enseigner, sa « transmission » dépasse le cadre d'une simple rationalité pédagogique.
Il existe des spécialistes dans les sciences et dans les divers corps de métiers. Chaque discipline possède ses propres techniques spécifiques et bénéficie d’une pédagogie adaptée à cette technicité. La philosophie n'étant pas une matière pour la méthode socratique, celle-ci s'éloigne du « spécialisme ». Il n'y a pas véritablement de méthodes pédagogiques. Face aux questions essentielles telles que « le sens de la vie et la mort », nous sommes tous des enfants. La méthode socratique, ou maïeutique, privilégie l'état d'ignorance fondamentale, nécessaire au surgissement de l'intelligence naturelle, ce « bon sens » que chacun est sensé porter en lui-même. Socrate nommait ce surgissement, quasi divin, son daïmon. Cette conscience daïmonique passe, tout d'abord, par un déconditionnement des savoirs préfabriqués. Cette mise en abyme de soi-même est ici nécessaire à une disponibilité, ou une vacuité, d'où doivent surgir « I'étonnement philosophique » et la prise de conscience. Spécialistes ou pas, nous devons tous vivre et mourir sans jamais savoir véritablement pourquoi. Le Pédagogue est à ce niveau sans pouvoir face à ses élèves. Face aux grandes questions primordiales, il se retrouve aussi démuni qu'eux.
Au cours du débat, le travail de recherche passe tout d'abord par une déconstruction de ce que l'on croit savoir. Puis, le pédagogue comprend qu'il apprend autant des réflexions spontanées de ses élèves, qu'eux-mêmes apprennent de lui. C'est en ce sens que l'on dit que le philosophe refait le monde. Cette humilité de base, le « je sais que je ne sais pas » de Socrate a de quoi déconcerter, et je comprends que le professeur ait peur de perdre son autorité. Mais rappelons-le, il ne s’agit pas ici d'acquérir de nouveaux savoirs, mais de créer une disponibilité nécessaire à la prise de conscience. Les paramètres de la cognition sont bien trop complexes pour expliquer le bouleversement d'une conscience. Dans un tel cas, le philosophe n'apprend rien à personne. Par le jeu du questionnement, à savoir la maïeutique, il aide l'individu à réfléchir par lui-même, et découvre avec lui que nous philosophons sans le savoir, comme monsieur Jourdain faisait de la prose. Philosopher est l'attitude naturelle de I'esprit.
Le monde change, l'école laïque, légèrement teintée par l'idéologie athée du début du siècle, ne peut plus répondre à l'univers multiculturel et interreligieux de notre époque. Les événements israëlo-palestiniens et l'attentat du 11 septembre 2001 aux États-Unis se sont répercutés en Europe, et particulièrement en France. Un nombre important d'attentats contre des synagogues et d'attaques contre la communauté juive démontrent que nous sommes entrés dans l'ère de la mondialisation des conflits. Les jeunes laissés pour compte dans les cités de banlieue, nous l'avons vu, sont facilement utilisables par des groupes terroristes, capables de récupérer leur ressentiment. Notre société est devenue une véritable poudrière. Plus que jamais, la nécessité du dialogue interculturel et religieux se fait ressentir. Il est important d'ouvrir les élèves aux autres philosophies de par le monde, qu'elles soient religieuses ou non. Chacun devrait savoir ce que signifie être juif, chrétien, musulman, bouddhiste, athée, agnostique ou autre.
Cette éducation est nécessaire si nous ne voulons pas que notre société interculturelle se divise en ghettos. Le philosophe de la tradition agoraïque correspond tout à fait, grâce à son impartialité fondamentale, à ce style d'éducation. Car la philosophie ne donne pas de réponse, elle sollicite le questionnement. Cette position est favorable pour satisfaire les exigences d'un enseignement laïque, authentiquement ouvert et impartial.

Tradition agoraïque et exclusion

L’échec scolaire est source d'exclusion sociale. Toutefois, on ne peut dispenser le même enseignement à un élève difficile qu'à un enfant lambda. L'école est souvent traumatisante pour l'enfant puisque qu'il subit déjà son caractère obligatoire. Les professeurs ont une lourde responsabilité, du fait qu'ils peuvent par autoritarisme, par manque de passion dans leur enseignement ou par le biais d'un programme scolaire sclérosé, casser l'élève à la base. Ajoutons à cela le manque de dialogue dans la sphère familiale, alors les ingrédients sont là pour pousser l'enfant vers la délinquance.
Le manque de dialogue est une plaie pour la société. Là où le dialogue n'est plus, la violence fait son apparition. Lorsque j'étais élève, je me souviens des rares moments de discussion dans la classe. C'était un moment ludique où, sans le savoir, je m'éveillais. L'homme n'a pas encore compris qu'il y a une différence entre dresser un enfant et l'éduquer, c'est-à-dire l'éveiller. Savoir lâcher le programme pour engager le débat avec ses élèves est essentiel. Certains professeurs le pratiquent, d'autres non. Un élève difficile est bien souvent un enfant privé de parole. Le débat philosophique permet aux enfants de retrouver une confiance en eux, tout en leur signifiant que leur parole a du poids. Pendant cet apprentissage, l'enfant passe progressivement de la violence au dialogue. « La vérité sort de la bouche des enfants », ce dicton populaire exprime à lui seul l'idée d'une spontanéité enfantine que l'adulte ne sait pas écouter. Il est vrai que la civilisation commence à peine à reconnaître le droit des enfants. Certaines philosophies comme le taoïsme ou le christianisme soulignent d'ailleurs l'idée que l'acte de philosopher commence par un retour à la spontanéité de l'enfant.
Le débat est toujours ludique, ceux qui sont esclaves de l'esprit de sérieux ne comprennent pas que dans la nature même, le petit animal apprend en jouant. Même si nous ne nous en rendons pas compte directement, derrière ce ludisme apparent, se cache un véritable travail. L’apprentissage ne peut pas être purement intellectuel. L'intellect, le corps et l'être en concordance doivent y participer.
Si la mémoire est importante dans l'éducation, elle peut aussi enfermer l'individu dans un conditionnement supprimant toute créativité. Elle peut également opposer des a priori constitués par une mauvaise éducation à la prise de conscience. Il est parfois nécessaire de la court-circuiter. Les mythes, les contes ou les histoires philosophiques en sont les outils privilégiés. Le ludisme évite, également, l'impression pénible de l'effort intellectuel et l'élève apprend en profondeur.
L'élève apprend aussi à s'exprimer oralement. N'oublions pas que dans notre société de l'information, la parole prend un poids de plus en plus considérable. Une expression orale doit évoluer vers l'art oratoire. L’élève apprend à placer sa voix, à prendre une attitude adéquate, à contrôler ses gestes, à utiliser les silences. Il doit apprendre aussi à écouter. Le fait de s'habituer à entendre une pensée complètement contraire ou étrangère à la sienne lui enseigne une sérénité qui fait bien trop souvent défaut aux adultes eux-mêmes. Je ne m'étendrai pas ici sur l'exégèse d'un tel débat. Toutefois, nous pouvons dire que toute la philosophie, dans son essence, y est contenue. Le débat est donc un outil de formation évident.
N'oublions pas, également, que les jeunes adolescents vivent une mutation difficile sur tous les plans. La quête de valeurs différentes de celles vécues dans la sphère parentale, la prise en compte de l'avenir, l'épanouissement de la sexualité sont autant de problèmes qui ne sont plus abordés dans les familles actuelles, et très peu à l'école. Il faut avoir à l'esprit qu'il y a deux écoles aussi nécessaires l'une à l'autre, l'école institutionnelle et celle de la vie. La tradition agoraïque s'adapte tout à fait à l'enseignement d'une éducation primordiale, dont on dit qu'elle est en crise aujourd'hui. La capacité à vivre des relations harmonieuses, et le civisme, font partie de cette éducation primordiale. C'est le levain d'une future citoyenneté réussie.

Débat, ouverture et lutte contre l'exclusion

Le travail que j'effectue à la maison d'arrêt de Villepinte dans le quartier des mineurs me questionne énormément.
Il existe, bien sûr, des psychologues professionnels qui exercent en prison. Toutefois, la démarche doit provenir du détenu lui-même, et nous savons qu'il est difficile pour un jeune de l'accepter. Aller voir un psy donne l'idée arbitraire que l'on est fou. De plus, le travail psychologique s'intéresse à l'aspect subjectif de l'individu. Il ne prend pas forcément en compte sa vie dans la société. ainsi que le travail plus objectif et global de sa vision du monde, qu'elle soit religieuse, philosophique, politique ou sociologique. En outre, il arrive hélas - les récentes affaires de pédophilie l'ont démontré - que le suivi psychologique n'existe pas.
La prison devient ainsi hautement criminogène, car elle laisse sortir des individus qui ne sont pas même revenus sur leurs actes. Dans de telles conditions, la fréquentation des autres détenus ne peut que renforcer la rage du délinquant. Cette situation devient encore plus désastreuse pour des jeunes mineurs. Chaque citoyen devrait contester un tel laxisme, d'autant que chacun d'entre nous peut devenir la proie d'une récidive.
La philosophie agoraïque est, à l'évidence, très utile en prison. Épurée de ses contenus conceptuels trop abstraits, elle peut se rapprocher de la vie quotidienne du prisonnier qui fait l'expérience de l'extrême, du fait de son isolement. La philosophie agoraïque vise à transformer cet isolement en « recueillement ». Un philosophe « intello » n'a ici aucune chance, si ce n'est de révéler son autisme. La philosophie agoraïque peut contrecarrer la peur du psy chez les détenus. Elle ne s'attaque pas directement à la subjectivité affective et à l'histoire du détenu. Le débat s'ouvre sur une réflexion commune et globale, sollicitant de la part des participants une réflexion sur leur vision du monde et les valeurs qui y sont associées. Après le débat, le détenu peut s'approprier la réflexion qui s'en est dégagée et la mettre, à son rythme, en correspondance avec ses actes. Ceci peut alors favoriser une prise de conscience, et le désir d'un travail de fond avec un psychothérapeute. Le psychologue et le philosophe peuvent ainsi travailler de concert.
Les expériences que je tente avec les élèves en difficulté, les prisonniers et les gens sans domicile, brisés par le délitement social, m'ont démontré le bien-fondé de la tradition agoraïque dans la re-socialisation de l'individu. C'est un outil formidable de lutte contre l'exclusion qui repasse par la culture, la parole et la réflexion.
Lorsque je travaillais dans « l'action sociale », j'ai pu constater les défauts du travail humanitaire, en général, dans l'aide apportée aux « sans domicile fixe». Cette aide se limite aux contingences biologiques, sanitaires et sociales. Elle devient alors perverse et enferme l'individu dans une dépendance stérile, voire carcérale. La misère sociale n'est plus celle du siècle dernier. Elle provient également des chocs affectifs, de la difficulté des individus à prendre en main leur propre vie, étant habitués à fonctionner en système. Le changement de la nature du travail a fait perdre à l'homme la vision globale de sa tâche, donc de sa créativité. Éjecté du système de production, il se retrouve perdu et incapable de s'inventer une autre vie. L'action sociale ne peut se limiter aux logements d'urgence, à l’apprentissage du CV et autres moyens purement techniques. La re-socialisation passe par la prise en compte globale de l'individu, de la façon la plus impartiale possible. Le débat et la philosophie offrent un champ de re-socialisation dont l’apprentissage de la communication avec soi-même et les autres est essentiel.
Comme je le dis souvent aux jeunes que je fréquente, les entreprises reçoivent beaucoup de CV, certains ne sont pas toujours lus. La capacité de I’individu à rentrer en relation avec les autres est un facteur qui est loin d'être négligeable dans la quête d'un emploi, d'un logement et dans la construction de sa propre vie. Cette capacité de relation dépend, bien évidemment, du travail que l'on a fait sur soi, et de sa capacité de réflexion.
Apprendre à se connaître soi-même est l'objectif essentiel du philosophe.

Conclusion

Philosophie agoraïque et philosophie universitaire ne sont pas opposées. Elles n'opèrent pas sur le même terrain.
La philosophie agoraïque doit se nourrir du travail universitaire. afin d'éviter le simplisme et le manque de rigueur.
La philosophie universitaire doit se nourrir de l'Agora, et de cette réflexion proche du peuple, des gens simples et de l'intelligence naturelle. Cela lui éviterait la sclérose intellectualiste qu'on lui reproche trop Souvent.
Le comble du philosophe agoraïque et du philosophe universitaire ne serait-il pas de s'interdire de s'interpénétrer?...

 

bruno le 01.09.07 à 17:15 dans > Articles (pédagogie et éducation) - Version imprimable
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